Lamka était habituée au souk. Tôt le matin, elle partait en quête d'un nouvel objet, d'un habit ou d'une arme qu'elle pourrait ensuite troquer contre un bon repas et quelques chopines dès le soir arrivé. Elle se contentait de peu depuis qu'elle avait quitté le giron familial.

Le soir tombé, elle aimait aller aux portes de la ville, près des remparts et s'imaginer voyager. Elle levait alors le doigt en direction du soleil couchant et disait à voix haute :

Un jour, moi aussi j'irais là bas !
Je ferais le tour du monde et découvrirais des trésors oubliés
...
Ou alors je rencontrerais des peuplades inconnus
...
Ou peut être même des animaux fantastiques ?

Et cela se terminait toujours de la même manière : elle se mettait à rire puis revenait en ville pour se mêler à la foule et s'y noyer

 
Ce soir là, Lamka parcourrait les remparts à la recherche d'un objet insolite, d'une pierre, d'un simple cailloux original qui pourrait susciter la convoitise de l'un de ses congénères. Elle scrutait le sol, les entrelacs des herbes humiques et les cavités de l'épaisse muraille. De n'importe où pouvait apparaitre ce qu'elle cherchait sans savoir exactement ce qu'elle allait trouver.

Mais ce soir là, elle fit choux blanc.
Aucun petit trésor ne vint appeler son regard.

Mince...
Rien cette fois...
Et pourtant, j'avais bel et bien l'impression que les étoiles allaient me guider...
Tant pis, j'en suis quitte pour puiser dans mes économies...

Sur ce, la jeune krolanne s'en revint en ville manger un morceau avant de retourner chez elle

 
Ce soir là, la nuit était claire et clémente, et malgré le froid, Lamka s'était encore aventurée sur les remparts. C'était le lieu idéal pour rêver, imaginer, s'évader faire vagabonder son esprit qu se plaisait de plus en plus à regarder les entrelacs des pensées qui s'offraient à elle...

De son perchoir, elle pouvait voir les forêts avoisinantes, entendre le bruit des bêtes sauvages qui s'exprimaient et presque sentir la sauvagerie de l'extérieur. Au crépuscule, il n'était pas rare non plus qu'une créature vienne s'aventurer près des remparts avant d'être vite chassée par les gardes. Ces créatures étranges qu'elle avait côtoyé de loin avaient toujours eu le parfum du danger et l'esprit de la découverte...

...

Mais cette fois là était différente des autres car elle avait eu l'audace de sortir.

Certes, elle était partie accompagnée mais cette sortie s'était soldée par un quadruple échec : elle s'était probablement ridiculisée en perdant de vue son groupe, elle s'était fait attaquée et empoisonnée sans qu'elle ne pu rien voir ou comprendre ce qu'il lui était arrivée, elle avait été dans l'incapacité de se soigner, elle n'avait absolument pu rien apporter de positif à l'expédition... Le seul point positif, si cela pouvait être considéré comme un point "positif" : elle n'avait pas été un poids mort pour l’équipe (puisqu'elle s'était perdue) et s'était débrouillée seule pour rentrer, avec une chance inouïe...

C'est pourquoi lorsqu'elle regarda ce soir là par delà les remparts elle s'imagina une toute autre histoire...

 


Où diable te caches tu !
Mon Oncle va m'étriper si je ne te retrouve pas !
Aller ! dépêche toi de te montrer !

 
Quelle folie s'était emparée d'elle ? Pourquoi et comment cette absurde envie d'aller voir toujours plus loin l'avait conduite à cet extrême ? Car elle était bien ressortie une nouvelle fois, bravant les rires des gardes qui l'avait pourtant une nouvelle fois prévenue :

- Tu vas finir par ne plus revenir...
- Ne t'aventure pas plus loin que l'orée ou il t'en cuira !
- Ta dernière aventure n'aura donc servit à rien ?

Bien sur, elle n'avait pas répondu et avait poursuivi son chemin, seule cette fois-ci.

***

La suite est plus qu'étrange.:



Elle se rappelle confusément s'être fait attaquée sauvagement.
Elle se rappelle avoir crié comme une bête sauvage,
Elle se rappelle avoir eu mal comme si on l'avait torturée de manière sadique et morbide
Elle se rappelle aussi d'horribles créatures qui ne lui étaient pas toutes étrangères
Elle se rappelle de leurs yeux et de leurs dents acérées
Elle se rappelle de toutes ces choses comme si cela s'était passé en songe
Les bois sombres, les feuilles bruissant, et la couleur de l'herbe luisant au clair de lune
Des images, des odeurs des clairs obscurs...

...
Mais elle ne se rappelle absolument rien de concret

***

Lorsqu'elle reprit conscience, il faisait encore nuit.
Etais-ce le même jour ?
Sans doute pas
Avait elle vécu cette triste aventure en pensée ?
Non, les plaies béantes que sont corps encore meurtri offrait à voir n'avaient rien d'imaginaires
Ses vêtement étaient lacérés
Elle ne voyait que d'un œil, ne pouvant bouger qu'un bras.
Son corps craquait de toute part

Elle était adossée au rempart, à l'intérieur et tentait de se relever sans succès
Elle toussa et cracha du sang
Sa tête lui fit mal, très mal

Le vent soufflait par bourrasques
Les étoiles brillaient par milliers ce soir là
Elle n'eut que le temps de se rendre compte de sa condition avant que sa vue ne se trouble et qu'elle ne s'évanouisse

***

 

 
Lorsqu'elle revint enfin à elle, elle se trouvait dans un lieu qu'elle ne connaissait pas, sans aucun doute un arrière de boutique. Elle était seule et n'arrivait pas à se souvenir de quoi que ce soit. Comment était elle arrivée là ?

Elle essaya tout d'abord de se relever, elle était dans un lit douillet et chaud. Chaud. Oui, elle avait chaud, très chaud. C'était sans doute la fièvre aussi. Sa tête tournait mais elle réussit tout de même à s'assoir au bord du lit. Ce n'est qu'alors qu'elle découvrit qu'elle était entourée de livres. Des tas de livres partout. Sur des pans de murs entiers.

Par le petit fenestron qu'elle pouvait apercevoir, on pouvait y distinguer la Lune qui brillait puissamment dans le ciel. Il faisait sombre, seule quelques bougies étaient précautionneusement allumées dans de petites boites de verre.

Sa tête lui tourna encore un moment mais elle réussit à ne pas s'évanouir. Près de son lit un grand verre d'eau fraiche qu'elle but d'un trait.

Elle vit ses vêtements déposés sur une chaise juste à côté, elle se rendit alors compte seulement qu'elle était nue. Elle ausculta alors sa peau. Malgré le peu de lumière, elle pu distinguer de très nombreuses cicatrices et lacérations. Des plaies soignées qui avaient laissé de puissantes traces. Des cicatrices semblables à celles que l'on trouve sur les cadavres...

Mais que lui était-il arrivée !!?

 

 
A la vue de Freya, elle eu un vif mais bref mouvement de protection. Comme si elle cherchait une arme, un objet qui aurait pu soit la protéger, soit la montrer suffisamment agressive pour qu'on arrête de lui faire des misères, mais elle du rapidement se rendre à l'évidence, personne ne souhaitait l'attaquer et personne ne souhaitait non plus subir ses attaques. Elle était loin de la scène qu'elle semblait venir de quitter donc un gros décalage mental semblait exister entre ce qu'exprimait ses yeux et la réalité de son entourage...

Après un long moment d'observation, Lamka finit par recouvrer ses esprits pu s'exprimer normalement :

Je... c'est fou parce que.. enfin... je... bon...

Mais quelques instants plus tard :

Je lie nomme Lamka. Je... je suis une obsédée des sorties en solitaire...

La krolanne sourit, semble même rire :

A chaque fois que je sors seule, je me fais... comment on dit ? arracher la gueule ? Déchirer les os ? découper les membres ? Broyer les membres ? Déchiqueter les organes ?

Marque une courte pause :

Enfin bref... une chiérie de douleur...
Je... je dois partir...
Je vous remercie pour tout évidemment...

Alliant la parole aux actes, la krolanne se lève et part sans attendre de réponse ni espérer quoique ce soit.

 
C'est en partant comme une voleuse qu'elle comprit vraiment ce que signifiait le concept de la communauté. Certes, Lamka était sinon opposée, au moins réfractaire à toute forme de collectivité et pourtant... pourtant il lui fallait bien admettre que seule une certaine forme d'association était viable étant donnée son nouvel état de Lanyshtas.

Lamka sortit et déambula un moment avant de recouvrer ses esprit et de comprendre qu'elle était au Kill Sin. Combien de temps avait-elle erré ainsi ? Les individus autour d'elle lui paraissaient transparents sinon mort-vivants. Ou bien étais-ce elle qui venait de mourir ?

Il lui paru tout à coup impérieux de manger plus que de raison et de se refaire une garde robe.
Elle regarda enfin de quoi elle avait l'air...
...
Une mendiante...

 
Un après-midi frais.

Salimân rentre de chez sa dernière conquête en se lissant la moustache.

Quelque chose le titille ; quelque chose dans son champ de vision et de pensée.

La Discrète. Pâle comme la mort, hagarde, et dans des robes qui ressemblent à des haillons. Il se rapproche d'elle.

Eh, collègue. Ça va ?

 
A la vue de Saliman, la jeune femme tente d'abord de s'échapper mais il est trop tard. Elle ne pourra pas se dérober à la rencontre et encore moins à donner quelques explications. Mais le problème reste entier : ses moments d'égarements ne lui permettent pas d'offrir cette explication rationnelle qui lui manque tant. A moins de mentir ou d'inventer. Chose qu'elle n'arrive à faire sans qu'une mimique la trahisse ou que ses mots se contredisent.

Lorsque le Chapeauté est suffisamment proche d'elle, elle se lève alors lentement, tente d'arranger succinctement la toile de sa robe et s'aventure :

Je... je me suis faite surprendre en dehors du Kil. Une idée idiote de sortir seule... Et il me reste quelques séquelles... Mais ça va aller, merci... insiste t'elle en esquissant un sourire. Tentative d'humour :... Il va falloir que je me procure un nouvel arc en même temps que quelques nouvelles fringues...

 
Le Compteur fronce les sourcils, comme pour chercher plus de sens dans ce que lui raconte la Discrète, puis hausse les épaules, semblant renoncer.

Il défait sa cape, et la tend à la belle. L'habit est de belle facture, doux et chaud. D'ailleurs, maintenant qu'il l'a enlevée, elle peut se rendre compte que l'homme est particulièrement apprêté : vêtu d'un bel ensemble anthracite, de chaussures vernies et d'un chapeau en cuir lustré.

Allez, suis-moi, j'habite pas loin et j'ai de quoi te dépanner. Mais d'abord, passons aux bains ! J'en ai besoin, moi aussi...

Sans attendre de réponse, il se dirige vers une ruelle éclairée.

 
Lorsque la cape du chapeauté lui couvre les épaules, la Discrète se sent immédiatement parcourir d'une étrange chaleur. Comme un souvenir doux et sucré enfouit au plus profond de son passé. Quelque chose d'agréable et de précieux, comme la caresse d'une maman à son enfant... Voyant son obligé partir sans attendre sa réponse, elle hésite un long moment puis se dit que :

- d'une part, il ne s'agit pas d'un inconnu mais sans doute d'une des personnes à quoi elle aurait le plus envie de faire confiance
- d'autre part, elle ne peut pas le planter là, alors qu'elle porte sa cape...

Elle lui emboite le pas sans réfléchir.

... merci. Cette cape est magnifique. Et aussi douce que chaude...

 
Le Compteur hoche la tête.

Il guide la Discrète sur quelques centaines de pas, pas plus, dans le cœur de ce quartier du Sin. Ils arrivent devant un grand établissement de pierre. Sur la devanture, de nombreux animaux aquatiques jouent avec des cours d'eaux qui vont dans tous les sens.

- Salut, Pique.

- Salut, Sal'. Bon bain !

Il fait signe à Lamka de le suivre sans faire de chichis, puis la guide, après deux couloirs et une grande pièce, vers une immense salle, dans le sol de laquelle sont creusés de grands trous rond ou ovales de taille variable. Certains bains sont individuels, d'autres sont faits pour plusieurs personnes. Le tout est recouvert d'une mosaïque richement décorée.




Il n'y a pas grand-monde en cette heure. Salimân se déshabille, sans pudeur ni exhibition, pose son chapeau sur ses vêtement soigneusement pliés, et plonge dans un large bain chauffé, sans plus se soucier de sa collègue.

 
Il se frotte tout à coup les yeux, manquant de s'assoupir.

La Discrète porte bien son nom. Elle avait sans doute rejoint un autre bassin, mais il ne l'a pas entendue. Il se leva et se sécha rapidement, puis envoya une pensée s'envoler dans les Bains.

*Je reviens, je vais te chercher des frusques.*

Il sortit, revint étrangement vite, portant un grand baluchon de linge propre et plié dans lequel elle n'aurait que l'embarras du choix.

*Prends ton temps, je t'attends dehors*

Satisfait de son temps de relaxation passé aux Bains, le Compteur sort dans la sombre ruelle en sifflant.

 
Lorsqu'elle vit le Compteur se déshabiller, Lamka s'arrêta net. Non pas que la nudité lui était particulièrement insupportable ou problématique mais simplement que la situation révélait quelque chose de profondément psychanalytique... de profondément ancré... quelque chose qui était au moins constitutif de ce qui faisait d'elle une "discrète"...

Lamka bifurqua immédiatement vers la première issue possible et se retrouva presque par hasard dans une grande salle ou une eau chaude et accueillante semblait l'appeler... Dans cette salle se trouvaient des femmes nues qui se prélassaient. Après quelques hésitations, Lamka se dénuda alors complètement et s'abandonna à la délicatesse du bain...



Elle en oublie totalement le Compteur et s'endort...
Mais son corps meurtri et marqué par des expériences qui ne devraient pas exister, se tord et la déchire...
Elle se lève, crie, retombe et se ré-endord...
...

Lorsqu'elle se réveille enfin, 72 heures se sont écoulées et Lamka s'imagine que le Compteur vient de la quitter quelques minutes plus tôt...

 
Le coeur lourd et la tête encore embrumée, il semble à Lamka qu'il n'est pas possible qu'elle ne fasse pas ce qu'elle a toujours voulu faire : s'échapper. Alors elle se lève et part presque machinalement vers la sortie de la salle, se dirigeant mécaniquement, plongée dans une profonde réflexion personnelle... Mais c'est précisément à ce moment là qu'une jeune femme l'interperpelle

Hey ! Où allez vous ?!

Lamka reste interdite, regarde autour d'elle une assistance qui ne peut pas venir...

 
Si elle regarde autour d'elle, la Discrète peur voir un petit ballot de linge avec une note posée dessus.