J’ouvre soudainement les yeux. Le pavé. Sous mon corps, le contact dur et frais du sol. Mon cœur se met à battre la chamade, mais c’est bizarre, parce qu’il y a peu, c’est comme s’il n’avait jamais battu. Comme s’il avait été arrêté. J’essaie de me redresser, mais mon corps réagit avec lenteur et fébrilité. Je parviens à peine à me trainer contre un mur, glissant un regard fiévreux autour de moi, essayant de percer les ombres d’une cécité décroissante. Une ruelle. Nulle part. Le froid mordant sur ma peau. Nu. J’m’en aperçois. Nu comme un ver. Je me sers mes bras puissants contre mon corps fébrile, instinctivement, à la recherche d’un peu de chaleur. Et étrangement, j’ai une fièvre terrible qui assaille ma tête. Qu’est-ce ? Que ? Des questions. Des tas de questions. Des choses qui ne devraient pas être, des choses qui ont été. Dodelinant de la tête, je manque de m’effondrer à nouveau et je puise dans le peu de puissance que je possède pour me pencher sur un mur froid et rugueux.
Se souvenir. C’est important.
Ils sont là, presque accessibles derrière un brouillard épais à couper au couteau. Des bribes me reviennent. Le boss. Les potes. L’assaut. Le bain de sang. Aux premières pensées, mon corps réagit à des blessures lointaines. Des coups. Des lames ! La brève image d’une lame vers ma gorge me revient en mémoire. Elle m’obscène. Au-delà de tous les autres souvenirs, celui-ci est fort d’un enseignement.
Je suis mort.
Je n’ai pas pu survivre, c’est impossible. Qui a pu faire ce coup mortel ? Rien ne me vient dans l’instant. Je sais qu’au fond de moi, je pourrais le retrouver, mais l’information échappe actuellement à ma compréhension. C’est peu important. Je suis mort. Est-ce ça la mort ? Y a-t-il une vie après la mort ? Pourtant, mes mains effleurent ma peau. Je les sens ! Je sens mon cœur battant la chamade dans mon corps. Ce sont des illusions ? Rien n’est vrai ?! J’en deviendrais fou. J’pense que j’ai pu faire face à la mort avec fierté, mais une fois dans celle-ci, elle me terrifie. J’en ai froid dans le dos. Ça pourrait être le froid ambiant. Qu’importe. Je claque des dents. Mon souffle se transforme en buée. Tout parait si vrai. La morsure du froid. Le mal qui a conquis mon corps. Ces souvenirs.
-Est-ce que je suis vraiment mort, merde ?!
Les mots sont sortis de ma bouche d’eux-mêmes. Je les ai entendus. Je ne les ai pas ressentis, non ! Ils sont passés par mes oreilles ! Faibles. Difficiles. Mais c’était mes mots. Mon souffle se fait rapide, le cœur battant toujours la chamade. La terreur remplace l’horreur et mon esprit est sur le point d’éclater. Des réponses ! Je veux des putains de réponses !
-Qu'est-ce qui se passe, ici ?
Quelqu’un. Une masse informe à ma gauche, descendant la ruelle. Elle s’approche, à pas feutré, posant un regard soupçonneux ma personne tandis que je le regarde avec les yeux du fou. Trois mètres nous séparent quand elle s’arrête. Ma vue se fait plus précise quand je devine un homme au visage émacié sous sa capuche, le reste de son corps dissimulé par une longue cape élimé par le temps et les intempéries. Sa main plonge dans un repli de son vêtement, à la recherche d’une arme, probablement.
-Qu’est ce’ tu fous à poil ? T’as un grain ? Tu t’es fait voler tes fringues ?
Je ne lui réponds pas. Tout me parait incohérent. Il parait si … vivant. Mais je suis mort, non ? Je crois. Je ne sais plus. Et en plus, au fur et à mesure que ma tête reprend ses esprits, j’entends des murmures. Des voix. Des voix dans ma tête qui rampent au ras des murs. Des paroles sans queue ni tête qui chuchotent, qui s’exclament et qui s’interrogent. Qui sont-ils ? Je suis troublé et l’inconnu s’en est aperçu. Il ne s’approche qu'un peu, de plus en plus intrigué. Par moi. Je ne suis pas l’image qu’il se fait au travers de ses hypothèses. Quelles hypothèses ? Je suis MORT ! Mon souffle devient celui d’un buffle et un vague de rage me parcourt le corps. Je suis mort. Je n’ai rien à perdre ! Je vais faire cesser cette folie ! Alors qu’il entre dans mon espace vital, je bondis sur lui avec une rapidité qui me surprend vue ma faiblesse. Je lui bloque sa main, l’empêchant de sortir une dague et je lui cale mes pognes dans sa capuche. Crac. Crac. Immobile. Inconscient. Je lève ces poings vers moi, les regardants, intrigués. Réels ? Irréel ? Toujours pas de réponses. Que des questions. Et la morsure du froid pour seule compagne. J’enlève la longue cape de l’homme afin de m’en vêtir et me couvre la tête de la capuche. Regard à gauche. Droite. Personne. Un silence de mort. Mais au loin, le bruit qui se fait de plus en plus distinct. Des voix. Pas des murmures. De l’animation. Quelque chose. N’importe quoi. Je m’y dirige d’un pas chancelant, laissant l’inconscient par terre. Au bout de trois pas, quelque chose me surprend. J’en prends conscience. Et dans ma mort, je m’inquiète.
J’ai faim.
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