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Sur le pas de la porte
 
Duncan Torgue
Libertaire
Kil'sin  
Le Dhiwara 25 Saptawarar 816 à 17h13
 
J’ouvre soudainement les yeux. Le pavé. Sous mon corps, le contact dur et frais du sol. Mon cœur se met à battre la chamade, mais c’est bizarre, parce qu’il y a peu, c’est comme s’il n’avait jamais battu. Comme s’il avait été arrêté. J’essaie de me redresser, mais mon corps réagit avec lenteur et fébrilité. Je parviens à peine à me trainer contre un mur, glissant un regard fiévreux autour de moi, essayant de percer les ombres d’une cécité décroissante. Une ruelle. Nulle part. Le froid mordant sur ma peau. Nu. J’m’en aperçois. Nu comme un ver. Je me sers mes bras puissants contre mon corps fébrile, instinctivement, à la recherche d’un peu de chaleur. Et étrangement, j’ai une fièvre terrible qui assaille ma tête. Qu’est-ce ? Que ? Des questions. Des tas de questions. Des choses qui ne devraient pas être, des choses qui ont été. Dodelinant de la tête, je manque de m’effondrer à nouveau et je puise dans le peu de puissance que je possède pour me pencher sur un mur froid et rugueux.

Se souvenir. C’est important.

Ils sont là, presque accessibles derrière un brouillard épais à couper au couteau. Des bribes me reviennent. Le boss. Les potes. L’assaut. Le bain de sang. Aux premières pensées, mon corps réagit à des blessures lointaines. Des coups. Des lames ! La brève image d’une lame vers ma gorge me revient en mémoire. Elle m’obscène. Au-delà de tous les autres souvenirs, celui-ci est fort d’un enseignement.

Je suis mort.

Je n’ai pas pu survivre, c’est impossible. Qui a pu faire ce coup mortel ? Rien ne me vient dans l’instant. Je sais qu’au fond de moi, je pourrais le retrouver, mais l’information échappe actuellement à ma compréhension. C’est peu important. Je suis mort. Est-ce ça la mort ? Y a-t-il une vie après la mort ? Pourtant, mes mains effleurent ma peau. Je les sens ! Je sens mon cœur battant la chamade dans mon corps. Ce sont des illusions ? Rien n’est vrai ?! J’en deviendrais fou. J’pense que j’ai pu faire face à la mort avec fierté, mais une fois dans celle-ci, elle me terrifie. J’en ai froid dans le dos. Ça pourrait être le froid ambiant. Qu’importe. Je claque des dents. Mon souffle se transforme en buée. Tout parait si vrai. La morsure du froid. Le mal qui a conquis mon corps. Ces souvenirs.


-Est-ce que je suis vraiment mort, merde ?!

Les mots sont sortis de ma bouche d’eux-mêmes. Je les ai entendus. Je ne les ai pas ressentis, non ! Ils sont passés par mes oreilles ! Faibles. Difficiles. Mais c’était mes mots. Mon souffle se fait rapide, le cœur battant toujours la chamade. La terreur remplace l’horreur et mon esprit est sur le point d’éclater. Des réponses ! Je veux des putains de réponses !

-Qu'est-ce qui se passe, ici ?

Quelqu’un. Une masse informe à ma gauche, descendant la ruelle. Elle s’approche, à pas feutré, posant un regard soupçonneux ma personne tandis que je le regarde avec les yeux du fou. Trois mètres nous séparent quand elle s’arrête. Ma vue se fait plus précise quand je devine un homme au visage émacié sous sa capuche, le reste de son corps dissimulé par une longue cape élimé par le temps et les intempéries. Sa main plonge dans un repli de son vêtement, à la recherche d’une arme, probablement.

-Qu’est ce’ tu fous à poil ? T’as un grain ? Tu t’es fait voler tes fringues ?

Je ne lui réponds pas. Tout me parait incohérent. Il parait si … vivant. Mais je suis mort, non ? Je crois. Je ne sais plus. Et en plus, au fur et à mesure que ma tête reprend ses esprits, j’entends des murmures. Des voix. Des voix dans ma tête qui rampent au ras des murs. Des paroles sans queue ni tête qui chuchotent, qui s’exclament et qui s’interrogent. Qui sont-ils ? Je suis troublé et l’inconnu s’en est aperçu. Il ne s’approche qu'un peu, de plus en plus intrigué. Par moi. Je ne suis pas l’image qu’il se fait au travers de ses hypothèses. Quelles hypothèses ? Je suis MORT ! Mon souffle devient celui d’un buffle et un vague de rage me parcourt le corps. Je suis mort. Je n’ai rien à perdre ! Je vais faire cesser cette folie ! Alors qu’il entre dans mon espace vital, je bondis sur lui avec une rapidité qui me surprend vue ma faiblesse. Je lui bloque sa main, l’empêchant de sortir une dague et je lui cale mes pognes dans sa capuche. Crac. Crac. Immobile. Inconscient. Je lève ces poings vers moi, les regardants, intrigués. Réels ? Irréel ? Toujours pas de réponses. Que des questions. Et la morsure du froid pour seule compagne. J’enlève la longue cape de l’homme afin de m’en vêtir et me couvre la tête de la capuche. Regard à gauche. Droite. Personne. Un silence de mort. Mais au loin, le bruit qui se fait de plus en plus distinct. Des voix. Pas des murmures. De l’animation. Quelque chose. N’importe quoi. Je m’y dirige d’un pas chancelant, laissant l’inconscient par terre. Au bout de trois pas, quelque chose me surprend. J’en prends conscience. Et dans ma mort, je m’inquiète.

J’ai faim.



 
Duncan Torgue
Libertaire
Kil'sin  
Le Julung 13 Otalir 816 à 23h59
 
Je trouve le salut dans l’un de ses débits de boisson qui daigne cuisiner quelque mets sans grande saveur, mais qui ont le don de remplir l’estomac. Alors que je repose ma cuillère en douceur dans l’assiette qui a contenu un repas trop rapidement ingurgité, je sens cette faim dévorante qui m’a pris tantôt s’atténuer. Je m’écarte de la table branlante, me reposant sur le dossier peu confortable en lâchant un soupir d’aise. Qu’est-ce que c’est bon, ce sentiment d’avoir le ventre rempli. On se sent revivre. Drôle expression, non ? J’ai mis entre parenthèses mes interrogations pour assouvir mes besoins primaux. Ça pourrait paraître étrange, mais la réalité ; ou le semblant de réalité ; était là : La faim. Dans doute, autant la combler avant de devoir penser à autre chose. Je jette un regard rapide dans la pièce plongé majoritairement dans la pénombre. Dans un coin, un feu éclaire faiblement quelques habitués accoudés à un comptoir usé par le temps. Sur d’autres tables, quelques personnes, discutant à voix basse, occupées à leurs affaires en cette heure tardive. J’ai perdu la notion du temps, mais l’obscurité ne laisse pas de place au doute : là où je suis, c’est la nuit. Pourquoi pas.

J’ai traversé quelques ruelles comme j’ai pu en connaitre par le passé. J’ai dissimulé mon visage et j’ai fui le regard des gens. On a dû me prendre pour un moins que rien. J’m’en fous. Je les ai regardés. Et toute concorde. Tout parait … normal. Le monde réel, le monde des vivants. Et pourtant, pourtant ! Je sais que je suis mort. Je sais que ce coup était fatal. Je sais et je ne sais pas en même temps ! Raah ! Fais chier ! Ma tête me fait un nouveau souffrir. Je la plonge dans mes mains usées comme si ça pouvait changer quelque chose. C’est comme s’il y avait des tas de petites voix dans ma tête. Des chuchotements. Des gens. Je ne veux pas le voir, mais une solution s’offre à moi. Celle qui fait que tout s’accorde. Mais une idée terrifiante.

Serais-je… un … Lanyshsta ?

Je tressaille. Je n’ai jamais vraiment eu à m’intéresser à eux. Pas eu l’occasion d’en croiser. En même temps, ils font tout pour se dissimuler, dit-on. Baah. On les dit doter de capacités inhumaines. Certains ne sont pas tendres avec eux. D’autres s’estiment capables de les supporter. C’est tout du moins un sujet qui divise notre peuple. Je souris. « Notre peuple ». Bien longtemps que je n’ai pas pensé comme ça. Et plus j’y pense, plus des vérités me frappent. Mon peuple ? Si je suis … différent ? Une vie à devoir me cacher ? Et est-ce une vie ? Je suis seul. Je n’ai plus rien. Et ceux avec qui je pourrais me rattacher doivent me savoir mort. Mon assassin ne doit pas être du genre à laisser ce genre d’action ignoré. Faire des exemples, hein ? Revenir à la vie, c’est crier au monde ce que je suis. Et on me traquera. Mais j’y pense… si les pouvoirs du Lanyshsta permettent de revenir à la vie, cela peut se reproduire ? Traquer, mais revivre ? Revivre et mourir dans un cycle sans fin ? J’en tremble d’avance. Il y a tellement d’inconnus dans ma connaissance que j’en maudis toutes ces années d’ignorance. Chier ! J’aurais mieux fait de m’intéresser à autre chose qu’à mes poings et à mon prochain adversaire.

Et ces voix …

Serait-ce… eux ? Les autres ?

Je prends un temps pour écouter, faire le tri dans ma tête. L’exercice est difficile, parce que je ne sais pas comment faire. Douloureux aussi, je n’y suis pas habitué. A utiliser le cerveau, on dira aussi. Mais je finis par y arriver, comme si c’était intuitif. J’ai maintenant ça dans mon sang, dans ma chair. Les murmures incompréhensibles deviennent des discours construits. Des voix aux caractéristiques différentes. Femmes. Hommes. Vieux. Jeune. Des dialectes aussi. Différents. Une diaspora de tous les quartiers. Qui discutent. Qui échangent. Je me souviens avoir pensé très fort avant de « mourir ». Ils ont peut-être entendu cet appel de détresse. Que dois-je faire ?

Lentement, j’explore les tréfonds de ma pensée. A la recherche d’autre. Aux moyens d’utiliser ce nouvel outil. Il faut apprendre à distinguer les pensées que l’on envoie et les pensées que l’on garde pour soi. Particulier. En eux, je devrais trouver un nouveau départ.


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