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Soutenance de mémoire à l'Institut comitaire des grande études |
Rhôz
Comitaire actif, Etudiante-Enseignante
Kil'sin
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Le Dhiwara 4 Saptawarar 816 à 20h09 |
Quand on a un gros mémoire à écrire, il est fort pratique d'avoir son bureau dans l'endroit le plus calme et spacieux qu'on puisse imaginer – le verbe imaginer prenant tout son sens quand il s'agit d'un coin d'entrelacs télépathique au-delà du tréfonds de soi-même.
Tout cela n'empêche pas cependant le temps de filer normalement et le grand jour de la soutenance d'approcher. Dans sa bulle psychique personnelle, Rhôz vient d'effectuer la dernière retouche à son manuscrit. Il faudra encore le recopier très proprement sur un support adéquat, dans sa mansarde, afin de produire un petit tirage autographe – mais à ce stade ce n'est plus qu'une affaire de mécanique. Le texte, lui est établi. Il s'agit de sa fameuse étude comparative des trois sharss encore debout, et plus particulièrement de la façon dont leur urbanisme reflète les particularités de leur histoire et de leur culture.
Le premier de tous, bien évidemment, est le Kil'dé, dont l'histoire commence avec celle de la Cité. Son évolution a pris la forme d'une lente sédimentation, d'un développement par couches, qui se sont étendues autour de la Faille en même temps qu'elle gagnaient en hauteur architecturale. Cependant, des trois Sharss c'est probablement le moins vertical, son architecture ne s'aventurant pas aussi loin au-dessus du sol ou en-dessous de la surface que celles du Kil'sin ou du Kil'dara (surtout du Dara). Le Dé est toutefois capable d'étager ses bâtiments le long des parois les plus abruptes avec une perfection d'harmonie difficilement imitable. Une façon de s'élever ou de s'approfondir sans perdre contact avec le plancher des vaches syfariennes.
Passés les Premiers Temps, d'autres Sharss ont progressivement vu le jour, se développant suffisamment loin de la Faille et de l'agglomération kildéenne pour former des quartiers indépendants et originaux. Parmi eux il y eut Kil'sin, qui dans sa zone montagneuse de naissance créa une autre façon de s'accrocher aux parois rocheuses. Au lieu de se développer dans un lente et harmonieuse sédimentation, le kil donna l'image d'une friche où s'épanouissaient des grappes distinctes les unes des autres, poussant comme des champignons sur les hauteurs, s'enfonçant dans la roche comme des mycoses, s'agrippant à la roche comme des lichens, et s'effondrant parfois aussi vite qu'ils avaient grandi. Peu à peu, un ensemble chaotique se constitua qui avait malgré tout une sorte d'unité organique. C'est encore sur ce modèle que le Kil'sin continue d'évoluer aujourd'hui, même si – peut-être – les contrastes sont moins tranchants et tranchés que par le passé, et les rythmes un peu plus doux.
Apparu plus tardivement sur les ruines d'un autre kil, le Dara est probablement tout à la fois le plus vertical et le plus cubique des Sharss. Une verticalité qui s'étend d'ailleurs probablement autant vers le haut que vers le bas – car le kil a été édifié sur les ruines d'un autre, le Kil'darogan, dont les rares témoignages historiques subsistant donnent l'impression qu'il devait être le plus calfeutré et souterrain de tous les quartiers de la Cité – bien qu'il n'en reste probablement plus rien aujourd'hui que des ruines en profond sous-sol, aussi difficilement localisables qu'explorables. Kil'dara est probablement le quartier dont l'évolution a été la plus assujettie à une rationalité planificatrice : un interminable empilement de zones quadrangulaires, une juxtaposition dont l'expansion centrifuge est sans cesse contrebalancée par un mouvement centripète de réfection et reconstruction des zones intérieures en déréliction.
Cette dernière observation sur le Dara est le point à partir duquel Rhôz entreprend de souligner dans son mémoire combien dans sa manière de gérer, aujourd'hui, le renouvellement ou le déclin de son espace urbain autant que, par le passé, son expansion, chaque kil exprime un caractère propre : Kil'dé restaure de façon à donner une image d'harmonie immuable ; Kil'sin retape ou bien laisse les ruines crouler, s'oublier, avant qu'un jour on vienne rebâtir sur les gravats ; Kil'dara mesure et planifie. Une bonne partie du mémoire de l'Étudiante consiste à illustrer sa thèse par divers exemples de l'histoire récente ou ancienne des Sharss.
Tout cela constituerait un bon point de départ pour des études plus poussées d'histoire urbaine comparée, mais Rhôz prévoit que se prochaines orientations de recherche seront plutôt tournées vers l'Extérieur. Cela lui donnera une bonne couverture pour ses incessants allers et retours avec le Dé, le Dara, ou le Dehors. Cela lui permettra peut-être aussi de trouver des réponses à certaines questions concernant les Lanyshtas ou son histoire familiale (surtout sur sa mère). Elle n'ira donc probablement pas plus loin sur son sujet de mémoire – mais il lui faut tout de même encore le soutenir devant un jury comitaire, et convaincre ses membres de l'intérêt et de la qualité de son travail. Ce n'est qu'une formalité, mais qui n'est pas à négliger. |
Rhôz, étudiante et enseignante, chercheuse et fouineuse.
(Son empreinte psychique évoque un contour de rosier dans la brume matinale.) |
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Rhôz
Comitaire actif, Etudiante-Enseignante
Kil'sin
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Le Sukra 26 Nohanur 816 à 21h42 |
De retour au réel, il faut se préparer pour le grand jour – qui approche à grands pas. Pour l'occasion, Rhôz s'est acheté une veste neuve et a confié sa chemise et son pantalon préférés à Tant'Yw : pour cette dernière, pas question d'en laisser le nettoyage au comité de blanchisserie local, quand bien même il déleste d'ordinaire la Rieuse Escarbille du gros de son linge sale et fait très bien son travail – s'en charger elle-même est probablement une façon de se libérer de l'appréhension qu'elle emmagasine et accumule à la place de sa nièce, le jour de la soutenance approchant.
L'Étudiante, elle, n'est pas si angoissée – elle connaît maintenant son sujet sur le bout des doigts, et elle sait depuis longtemps se défendre dans une joute orale. Et puis elle n'a pas grand chose à craindre du jury universitaire qui l'interrogera, de toute façon, puisque c'est le professeur Müschrën qui y tiendra le rôle principal, et que celui-ci se montre toujours bien incliné envers Rhôz – presque au point, parfois, de se montrer un peu paternant. Rhôz pardonne volontiers ce travers à son mentor académique. Elle n'attend pas non plus un excès de sévérité des autres membres du jury. C'est finalement d'elle-même que vient la plus haute exigence – elle ne peut décemment se permettre de présenter un travail médiocre.
Il ne reste plus désormais qu'à faire un petit tirage du texte de son mémoire, pour les membres du jury et pour ceux qui voudront en prendre connaissance avant la soutenance – car il est dans l'usage que quelques exemplaires soient auparavant consultable au secrétariat du sous-comité institutaire organisateur, afin que tout un chacun puisse le jour venu amener des remarques et des questions lors de l'interrogatoire public qui suit habituellement celui du jury. L'issue de cette séance publique peut influer sur la mention qui sera finalement attribuée au mémoire – c'est peut-être là que résidera la plus grosse difficulté, mais là non plus Rhôz ne s'inquiète pas trop. Pour l'heure, il reste surtout à choisir un papier et une encre qui conviendront bien pour les impressions qu'elle va effectuer à l'aide de la petite presse qui occupe un coin de son Grenier.
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Rhôz, étudiante et enseignante, chercheuse et fouineuse.
(Son empreinte psychique évoque un contour de rosier dans la brume matinale.) |
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Rhôz
Comitaire actif, Etudiante-Enseignante
Kil'sin
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Le Merakih 14 Dasawar 816 à 19h46 |
Finalement, ce fut un papier assez fin, mais sans excès, car l'Étudiante ne voulait pas en faire trop. Un papier lisse, donc, avec une bonne fermeté, sur lequel l'encre se déposait sans la moindre bavure. Tout le monde ne serait pas attentif à ces détails, mais cela influerait sur la qualité de lecture. Tout se présentait plutôt bien.
Le grand jour est enfin venu. Le jury se compose de cinq membres : le professeur Müshrën lui-même, bien entendu, avec à ses côtés les professeurs Korkovvä et Drigginikol, tous trois du sous-comité de philologie comparée, puis les professeurs Riddenÿ-Ghoröth, du sous-comité d'urbanisme diachronique, et Mouzzelyn, du sous-comité de cosmographie citadine. Rhôz a fait son exposé comme prévu, avec précision et clarté, montrant sa connaissance désormais approfondie du sujet. Les questions de ses examinateurs sont nombreuses mais globalement bienveillantes.
Pr. R.-G. : C'est intéressant la façon dont vous avez su caractériser chacun des Sharss actuels en fonction de son environnement et de sa place dans la chronologie urbaine. Mais vous avez peu abordé la question des quartiers perdus. Ce sujet ne vous a pas intéressé ?
Rh. : Si, bien sûr. Mais on a beaucoup moins d'éléments facilement observables de nos jours, puisque dans l'ensemble ils sont tombés en ruines et ont disparu des cartes. Parfois on ne sait même pas les situer géographiquement. On trouve bien quelques sources anciennes donnant des détails historiques, mais on n'a pas grand chose de précis pour aller comparer les textes à une réalité concrète sur le terrain. Alors je n'ai fait que les mentionner de façon passagère, comme quand je parle du lien entre le Kil'dara et le Kil'darogan... Il y aurait des recherches à faire sur le sujet, bien sûr, mais cela sortait clairement du périmètre du présent mémoire.
Dans ses réponses, elle a réussi à glisser une fois ou deux qu'il serait justement intéressant d'aller à l'Extérieur pour étudier certains sites, sans trop dire trop précisément à quoi elle pensait. Cela a permis de faire passer l'idée que ses prochaines recherches la mèneraient certainement au Dehors. Cela a été dit et ainsi personne dans le milieu académique ne s'en étonnera à l'avenir.
Les choses, jusque-là, se présentent bien, mais il reste encore les questions de l'auditoire de la salle. Elle sent de l'impatience de ce côté-là. Les fauves vont être lâchés.
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Rhôz, étudiante et enseignante, chercheuse et fouineuse.
(Son empreinte psychique évoque un contour de rosier dans la brume matinale.) |
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Rhôz
Comitaire actif, Etudiante-Enseignante
Kil'sin
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Le Dhiwara 18 Dasawar 816 à 14h26 |
C'est un fauve bien connu qui sort de la masse pour attaquer.
Pr. K. : Je trouve cela tout de même stupéfiant que vous ayez traité de l'évolution de la Cité et des Sharss, et de la perte de plusieurs quartiers les uns après les autres au cours de notre histoire, sans dire un seul mot des dangers qui compromettent aujourd'hui sa survie... Vous n'avez rien dit sur la menace des Lanyshtas par exemple !
Il s'agit du fameux et tristement réputé professeur Kürthval, le fondateur du CPK, le « Comité de préservation de la krolannité ». Depuis l'affaire des faux étudiants, il n'est plus en odeur de sainteté dans beaucoup de comités et sous-comités de l'Institut, mais cela ne l'empêche pas de venir assister à tous les colloques et conférences ayant lieu ici ou là dans le milieu académique. Sa présence à la soutenance de Rhôz n'a rien de vraiment surprenant, et il est peu probable qu'il aborde le sujet des Éveillés à cause d'un soupçon qu'il pourrait avoir concernant Rhôz – il fait ce genre d'intervention partout. L'Étudiante évite simplement de renchérir sur le sujet.
Rh. : Je prends note de votre remarque, mais sachez que c'est un travail qui retrace une évolution passée, et ne cherche pas à prédire une quelconque évolution.
Pr. K. : Mais les Lanyshtas... Ils sont partout. Il y en a tout autour de nous. Et ils attaquent ! Le mois dernier, un honnête homme a été assailli à son domicile par une bande de mutants entrés par effraction. Ils ont tout démoli chez lui ! Ils l'ont torturé ! Et personne n'en parle ! On nous cache tout !
Comme la plupart du temps, les propos de Kürthval entraînent immédiatement de vives réactions dans la salle. Les avis sont partagés, avec de nettes oppositions, et un vif débat ne tarde pas à prendre place dans l'auditoire et à éclipser la raison première de l'assemblée du jour. Finalement, des appariteurs doivent intervenir pour évacuer les débatteurs les plus emportés (dont le fondateur du CPK), qui vont poursuivre leur discussion hors de la salle de soutenance. L'audience peut ensuite reprendre son cours.
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Rhôz, étudiante et enseignante, chercheuse et fouineuse.
(Son empreinte psychique évoque un contour de rosier dans la brume matinale.) |
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Rhôz
Comitaire actif, Etudiante-Enseignante
Kil'sin
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Le Merakih 9 Agur 817 à 12h57 |
Le reste de la soutenance se passe sans incident. Les questions de l'auditoire traduisent un intérêt pour le sujet. La plupart des remarques sont constructives et soulèvent des points à éclaircir, ou qu'il faudra approfondir dans des recherches ultérieures. Les choses se présentent bien pour la suite, mais le moment où les membres du jury se retirent de la salle pour leur délibération finale est, malgré tout, un entracte terriblement angoissant pour Rhôz... Et si en fin de compte elle n'avait pas su être suffisamment convaincante ? Elle n'est pas sûre d'avoir la patience de persévérer au sein de l'Institut si elle devait échouer, maintenant qu'elle est Éveillée et qu'il y a tant de choses dont elle doit s'occuper à côté de sa vie de banale institutaire kilsinienne.
Après une attente tendue pour l'Étudiante, les jurés reviennent enfin donner leur verdict. C'est le professeur Müschrën qui prend la parole pour les cinq, exposant leurs motifs de satisfaction, de menues critiques (pour la forme), et quelques recommandations pour la suite des recherches. Puis, en conclusion, la déclaration formelle du jury :
Pr. M. : Après débat et délibérations, aussi bien entre jurés et qu'avec l'auditoire, le jury rend un avis favorable à la l'accession de Rhôz, ahum... de Rhôzëe Frödhreen Yszâdohr Loïsz Börghez, au statut de professeure-chercheuse parmi les étudiants-enseignants de l'Institut comitaire des grandes études du Kil'sin !
Rhôz peut respire enfin de nouveau. La voilà officiellement confirmée dans ses érudites aspirations.
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Rhôz, étudiante et enseignante, chercheuse et fouineuse.
(Son empreinte psychique évoque un contour de rosier dans la brume matinale.) |
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