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In aquae veritas Recherche bibliographique au milieu des fientes |
Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Sukra 23 Jangur 816 à 18h16 |
Bien sûr, il y avait l'option de la bibliothèque.
Mais c'était là l'une de ces choses à la fois utile et agaçante du Kil'sin, à savoir que le meilleur endroit n'était pas forcément celui auquel on pensait en premier.
Par exemple, où trouver les meilleurs cuistots ? Sur la place des Heures Vives, aux grandes enseignes drainant les rares touristes ? Aux Estaminets, où plusieurs millions de repas étaient servis chaque semaine ?
Raté, si vous vouliez de l'innovation, du goût, et du typique, le mieux à faire était d'aller dans les Rigoles. Parce que quelqu'un capable de rendre mangeable un vieux rat et du lichen est capable de vous préparer n'importe quoi.
Pour les livres, c'était un peu pareil. N'ayant pas de grandes archives centralisées comme pouvaient l'avoir le Kil'dé ou le Kil'dara, le Kil'sin voyait ses livres surtout concentrés dans différentes bibliothèques dépendant des Comités eux aussi très différents.
Quelques rares avaient vocation à un savoir sous toutes ses formes -tel le Comité d'Ouverture Universelle aux Productions Écrites, qui rassemblait absolument tout ce qui lui tombait sous la main, sans discrimination aucune- mais la plupart étaient spécialisés dans des domaines parfois étranges, comme ce mono-Comité (nom donné aux comités d'une seule personne) qui se focalisait sur le recueil des tracts publicitaires de... Boucheries. Ce qui était d'un intérêt proche de zéro, à moins bien sûr d'étudier les tracts publicitaires de boucherie, car dans ce cas, l'expertise du comitaire et l'étendue de sa collection étaient sans conteste ce qui se faisait de mieux dans la Cité.
Aussi, le Kil'sin renfermait-il peut-être, à son étrange façon, plus de savoirs encore que le Kil'dara. Par contre, il n'était pas toujours facile d'y accéder, et il n'était jamais facile d'y accéder du premier coup.
Après avoir demandé conseil à Rhôz, Jade s'était donc dans un premier temps dirigé vers une bibliothèque spécialisé dans les langues étrangères.
Bibliothèque qui devait faire le bonheur de linguistes polyvalents, mais qui d'une part était totalement dépourvue d'intérêt pour ceux n'ayant pas d'attrait pour les langues -arrivée dans la bonne zone, elle avait mis plus d'une demi-heure à trouver l'endroit précis, aucun voisin n'étant au courant- et d'autre part trop généraliste pour pouvoir répondre à une question précise -la sienne en l'occurrence.
Heureusement, le bibliothécaire lui avait indiqué l'adresse -précise !- d'une personne susceptible d'avoir les ouvrages nécessaires.
Dans l'adresse, il avait oublié de mentionner l'odeur.
Car oui, les oiseaux, c'est joli, paraît-il, et l'Oisellerie du Kil'sin était connue dans toute la Cité pour le nombre énorme de créatures abritées, mais si les couleurs pouvaient être très différentes, au bout d'un moment, les odeurs se ressemblaient toutes, et en s'approchant de l'arrière de l'oisellerie, on se disait une chose simple : plus jamais.
Là. C'était l'adresse. Impossible à discerner des autres. Jade frappa.
Bonjour. On m'a conseillé de venir vous voir pour consulter vos ouvrages.
La porte s'était ouverte, dévoilant un petit krolanne qui, après examen, devait faire beaucoup plus vieux que son âge.
Veni, vidi... Legi ?
Hum ? Il la regardait avec l'air d'attendre quelque chose. Sans ouvrir plus. Alors...
Veni, vidi, vici, elle connaissait, elle avait déjà entendu. Issu de l'origine des krolannes sur le monde, une bataille assez sévère, à l'emplacement de ce qui allait devenir plus tard le Kil'dé. L'affirmation de leur force.
Sauf que là, la victoire était devenue "legi". Des mots proches. J'ai légiféré ? Non. Pas de sens dans le contexte, et pas non plus de rime. La forme été aussi importante que le fond. Et c'était une question qu'il oui posait. Ah. Oui.
Je suis venue...
Claquement de langue désapprobateur. Un puriste.
Je suis venue, j'ai vu, j'ai... Lu ? Oui.
Le krolanne hocha la tête, satisfait, pour s'écarter aussitôt après. Un test. Il s'amusait à la tester sur ses connaissances, pour savoir si elle était digne de ce savoir. Un obnubilé qui en refusait même l'usage du patois local. Au moins était-elle a la bonne adresse.
Mais si chaque échange devait se traduire par une épreuve, mieux valait limiter au maximum les questions.
Et le temps d'exposition, aussi. Même si elle n'était pas du genre à se plaindre, il y avait un moment où le corps lui-même annonçait qu'on jouait avec ses limites, et l'odeur des oiseaux était, à l'intérieur de l'appartement, comme concentré.
Je cherche un livre sur le krolanne ancien. Afin de rechercher le sens de certains mots. Vous avez ça ?
A priori ? Ad libitum.
En écartant les bras, désignant les étagères, remplies de divers documents.
Ad... Hum. Jusqu'à plus soif. Oui, c'était exact. Et elle comprenait. Après tout, oui, ils avaient des centaines de ces anciennes expressions qui étaient restées jusqu'à l'ère moderne. C'était simplement assez rare de rencontrer quelqu'un capable d'en sortir sur demande, et même de ne s'exprimer QUE ainsi. Il la regardait, deux doigts se frottant l'un contre l'autre en un langage ayant traversé les siècles. Au "Combien ?" de Jade, il tendit une main aux doigts écartés.
Cinq graines ? A ce prix là c'est un achat, pas une lecture. Qui plus est vu l'ambiance.
Pas qu'elle soit à quelques graines près, mais s'il demandait cinq graines pour le droit de poser les yeux sur un livre, il demanderait bien plus pour autre chose. A sa réaction, il inspira longuement, puis...
Pecunia non olet.
Pécuniaire, l'argent, non, ol... L'ambiance. Olfactive. L'argent n'a pas d'odeur, ok, autre test. Bon, il y avait quelque chose, comme ça... Ah, oui.
Jade tendit lentement la main vers sa bourse, en déliant les cordons. Mais avant d'y piocher, elle riva son regard dans celui de l'homme.
Pro bono ?
Gloussement, quatre doigts se recroquevillant. Une graine, donc. Bien. Raisonnable. Il lui désigna une chaise, à une petite table.
Mis à part l'odeur, l'endroit était propre, sec, éclairé, assurant la meilleure conservation et les meilleures études possibles. Sauf qu'elle ne venait pas passer des heures pour l'amour de la lecture.
Vous avez un dictionnaire ?
De facto ?
Et un ricanement ouvertement méprisant de suivre la question. Trop beau pour être vrai. Bon, on allait donc passer des heures pour l'amour de la lecture...
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La perfection est amorale. |
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Sukra 23 Jangur 816 à 22h22 |
Les dictionnaires étaient des choses créées pour être utilisées dans les deux sens -même si souvent l'un était privilégié.
Ils étaient prisés pour un échange sur un pied d'égalité -même si on savait qu'on restait les meilleurs- avec autrui.
Dictionnaire dath'ogal, dictionnaire diplomatique krolanne... On en trouvait plein, mais à chaque fois, destinés à se comprendre avec quelqu'un n'étant pas dans le même espace.
Rarement se posait la question d'un temps différent.
Le problème, c'était la perte de mémoire.
Si visiblement la plupart des anciens se plaignaient des néologismes des plus jeunes, et que ceux-ci se gaussaient du phrasé alambiqué des anciens, il n'y avait, à de rares quiproquos près, aucune difficulté de communication entre génération -aucune liée au langage, du moins.
Chacun pouvait comprendre son grand-père, lui-même ayant été apte à comprendre son ancêtre du temps de sa jeunesse, celui-ci ayant discuté sans peine avec son aïeul, etc.
Mais personne ne s'inquiétait de ne pas pouvoir communiquer avec ceux des siècles passés, ceux-ci étant, par définition, morts et brûlés depuis des siècles.
D'où l'absence de dictionnaires.
Pour autant, la langue avait bien évolué, depuis le temps. Elle s'était bien sûr diversifié en les différents patois, communs aux sharss et même aux délaissés, mais ce n'était là qu'usage d'argot et adaptations culturelles.
Mais même la langue de base, le krolanne tel qu'on en conservait le nom, avait fortement évolué. La langue initiale était complexe, riche, mais dépourvue des mots permettant de décrire des éléments typiques de Syfaria. C'était notamment pour cela que de nombreux mots Dath'ogals avaient été incorporés.
Et avec les mots Dath'ogals, et leur étrange façon d'assembler des concepts pour former des phrases, leurs discours très riches se basant sur un nombre étonnamment réduit de mots, mais accompagnés d'attitudes et d'odeurs, était venu une autre façon de parler, une certaines flexibilité dans la langue étant nécessaire pour s'approprier et manipuler ces nouveaux concepts.
On avait pris les mots anciens, et on les avait malmené, n'en gardant souvent qu'une forme amoindrie, mais plus malléable.
La langue était devenue plus simple, plus pragmatique, plus efficace, se transformant au fil du temps en une langue de marchand, les différents patois étant chacun reconnus pour leur capacité accrue à décrire certains domaines -le Kil'sinite pour l'art et les couleurs, le Kil'darienne pour la langue technique, le Kil'déen pour aborder les domaines philosophiques et sociologiques, le patois des délaissés restant quant à lui très efficace en langage de combat, et très précis en terme de violence -et de médecine.
L'union des cinq langues était aussi précise, et plus facile d'usage, que la langue ancienne. mais elle, au moins, était unique.
Bref, trouver le sens d'un mot ancien précis était tout sauf une partie de plaisir, en temps normal, l'absence de correspondance claire -ailleurs que dans le crâne des excentriques ayant décidé de se consacrer à de telles études- entre les langues obligeant à rechercher des occurrences de ce mot pour pouvoir, d'après le contexte, en tirer le sens.
Dans le cas présent, il s'agissait de néologismes, de variations ayant vraisemblablement -mais sans certitude- une base ancienne. Il fallait donc trouver plusieurs fois le mot pour trouver ses variantes, et en tirer un sens commun.
Joie.
Bon, autant se rattacher à quelque chose qu'elle connaissait, et était sûre de pouvoir retrouver.
Noxamancie
Le runique aidait, aussi. même s'il était différent, dans les sonorités, de l'ancienne langue, il la rejoignait dans sa capacité à décrire entièrement un concept en une unique construction. Aucune autre langue n'aurait pu transmettre ce petit goût piquant au bout de la langue, l'infime démangeaison qu'on ressentait au bout des doigts, en prononçant ce mot. Et encore, les sensations étaient aussi imprécises que l'était sa connaissance de cette magie.
Le premier livre fut le bon. Il faut dire qu'ils semblaient classés par thèmes, et que certains textes étaient à la base conçus pour durer et être consultés, d'où leur facilité relative à être trouvée. C'était notamment le cas des textes de lois.
Ne restait plus qu'à décortiquer le mot pour en tirer la partie essentielle -le "mancie" était un suffixe commun, il ne servait donc pas à la différenciation- à savoir le "noxa". Et retrouver le noxa dans le texte.
Bonne nouvelle, il y en avait plein.
Mauvaise nouvelle, il y en avait trop.
Noxae, noxas, noxa. Alors si ce mot là voulait bien dire "faire/créer/réaliser" et cet autre "mériter/engendrer", on avait, d'après les positions, à la fois un sujet, un acte et une conséquence.
Meurtrier ? Non, le mot était bien trop couramment employé pour signifier meurtrier, il était présent d'un bout à l'autre. Plus général.
Criminel ? Contrevenant ? Pas personne, en tout cas. Et il commettait donc un... Crime, un délit. Un meurtre ? Non, on avait globalement deux parties, "noxae" et "scelera", les seconds, scélérateries, étant vraisemblablement les crimes. Délits, donc. Mais un délinquant faisant un délit méritait-t-il un délit ? Non-sens.
Noxa. Nox. Noc. Nocif. Nocturne ? Non, nocturne n'avait pas de sens avec l'univers des délits. Nocif, par contre, était désagréable. On avait là une idée commune, celle du désagrément. L'être désagréable commet l'acte désagréable et mérite la chose désagréable. Un châtiment, sans doute.
Bon, autant chercher dans un ouvrage à vocation médicale, alors. Si elle trouvait cela dans la catégorie des démangeaisons, c'était confirmé.
Et "mancie", tant qu'on y est ?
Car non, "mancie" n'allait pas discriminer. Mais ceux qui avaient choisi ces noms ne l'avaient sans doute pas fait au hasard. Et outre la sonorité, il y avait peut-être un sens caché là dedans aussi...
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Dhiwara 24 Jangur 816 à 09h34 |
Mais d'abord, l'ouvrage médical. Ou un ouvrage médical. Ou une personne parlant des afflictions diverses.
N'importe quoi...
Car oui, si les textes de loi avaient tendance à bien traverser les âges, susceptibles de concerner tout le monde, les autres ouvrages étaient généralement, dès leur origine, distribués de façon relativement confidentielle.
Plutôt que de devoir traduire des titres afin de définir le contexte -surtout que ses efforts de traduction s'appuyaient eux-même assez fortement sur le contexte, ce qui faisait de cette traduction un épisode pour le moins hasardeux- elle du se résoudre à ouvrir des ouvrages au hasard, espérant tomber sur des illustrations lui permettant de trouver plus rapidement le thème abordé.
C'est alors qu'elle venait d'en trouver un, prometteur, avec une couverture dévoilant un croquis anatomique aux couleurs intactes, et fortement détaillé, que son hôte revint, comme pour vérifier qu'elle ne s'était pas endormie.
Kama Sutra ?
Et un gloussement associé à un clin d'oeil un rien étrange, avant de s'en repartir.
Alors... Kama. Karma ? Et sutra... Peut-être suture. Suture de l'âme ? Un ouvrage de psychologie ? Effectivement, il devait se dire que l'ouvrage était trop pointu pour elle, et que la traduction ne pourrait qu'être délicate. Heureusement, il semblait regorger d'illustration, comme celle-ci qui...
Hum...
Et la suivante qui...
Oh.
Bon, la première partie semblait être très orientée. Alors en prenant vers la fin...
Ah !
Bon.
D'accord.
Pas forcément la peine de traduire le détail, il y avait ici bien plus de "sexus" que de "noxa". Et le clin d'oeil devait plutôt affirmer que, exceptionnellement, il était prêt à donner un coup de main à la traduction. Ou de reins. Enfin bref. Livre suivant.
Après plusieurs essais -il commençait à faire noir, elle dénicha enfin un ouvrage correspondant à peu près, visiblement un recueil des maladies du mouton.
"Noxa" apparaissait souvent, mais pas en tant que symptôme. Plutôt comme base. Donc pas une démangeaison, une irritation, mais plutôt, simplement, une maladie.
Le sens précis continuait à être dissimulé, mais le thème restait stable : la nocivité, la pénibilité, la "chose" qui était certes naturelle mais néanmoins handicapante. Oui, cela correspondait.
Bon, ça suffisait pour aujourd'hui.
Je reviens demain.
Cras alium diem est.
Alium, autre, diem, diurne, autre. Et cras ? Sans doute une réponse, une reprise. Demain ? Demain est un autre jour. Oui, ça se tenait.
A demain, donc.
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Luang 25 Jangur 816 à 18h04 |
Lendemain, à la première heure.
Il était temps d'y voir un peu plus clair.
Noxa-mancie. Phéré-mancie. Kortho-mancie.
C'était la dualité entre le mot et la chose, qui avait -et continuait encore- à agiter les cercles des débatteurs patentés du Kil'sin. Mais pour Jade, les choses étaient plus simples : il suffisait, justement, de se dire que les choses étaient rarement trop simples.
Les mots étaient tels des animaux, en opposition les uns avec les autres, en concurrence. Seuls les plus puissants s'imposaient, généralement en bouffant les autres. Chacun avait son domaine bien défini, où les autres n'empiétez pas, mais qu'un nouveau domaine se crée, et il était rare qu'un nouveau mot s'impose pour celui-ci : le plus souvent, il était absorbé par les mots alentours -ainsi bien qu'il existe des milliers de couleurs on utilisait moins d'une centaine de mots pour les décrire, et à peine une dizaine régulièrement, blanc cassé, blanc nacré, blanc perle, blanc os étant autant de nuances différentes qui auraient pu mériter un nom unique mais préférant à la place associer deux mots plus courants- et le reste du temps, on travaillait par association d'idées, par références. Nul ne voyait dans une architecture cyclopéenne la trace de créatures mythiques, mais l'association d'idées, et la différence de taille, frappait l'esprit.
C'était la même chose pour la magie.
Elle ignorait qui avait donné le nom à ces domaines d'études. Mais elle était au moins sûre d'une chose : ces noms n'avaient pas été donnés au hasard, le premier objectif d'un nom étant moins de donner une référence sur laquelle revenir que de décrire sommairement un phénomène.
Un coucher de soleil n'était pas poétique comme l'était un crépuscule, pas précis comme l'était la rotation d'une planète réduisant à néant l'angle de vue sur un corps céleste. Mais c'était une description. Un soleil qui se couche. Point.
De fait, les deux nouveaux mots avaient livré leur suffixe, maitrisé et bâillonné, durant le trajet : le -ation était une action, tout simplement, une façon d'agir sur le monde.
La -mancie posa plus de problèmes. Et ce fut en fait presque par hasard, tandis que deux heures improductives venaient de s'écouler, qu'une opportunité transforma l'essai.
Elle avait initialement écarté le livre à la couverture criarde -quoique un peu passée- "Omnia magi", sans doute quelque chose comme "magie toute puissante". Et à coup sûr un simple recueil de tours de passe-passes et d'illusions mineures de l'époque.
Mais après tout, peut-être que le vocabulaire avait inspiré d'autres mots, comme la fameuse mana utilisé partout.
La pêche fut bonne, et même quasi miraculeuse, puisqu'elle permit de faire d'une pierre deux coups, confirmant en passant qu'il n'y a que dans le registre métaphorique qu'on peut se satisfaire de pêcher des cailloux.
D'une part, "mana" était visiblement presque aussi populaire à l'époque que "abracadabra", utilisé comme une injonction précédent l'accomplissement, "mana, mana ! Mana ! Abracadabra !", se traduisant visiblement par "viens, viens" (ou "jailli" dans le cas des arnaques aux baguettes de sourcier, le "mana" semblant pousser l'eau à se montrer).
Pour le "mancie", il apparut tel quel sous une illustration en page entière.
Un petit dessin -ou un grand- valait effectivement mieux qu'un long discours, et les différences techniques de voyantes de foire -cartes, osselets, boules de verre ou de quartz, thé- étaient détaillées dans des pages à l'écriture serrée et quasi intraduisible, mais où "mancie" revenait sous toutes ses formes.
Une forme de divination. D'étude. D'attente.
Si "mancie" se réfère à une observation passive et "ation" à une action, on a bien une différence d'échelle.
Les trois sphères que la troisième vague avait apprises à connaitre pouvaient se révéler particulièrement puissantes, des altérations de la réalité aux conséquences impressionnantes.
Mais ceux qui avaient eu connaissance de diverses magies n'avaient pas parlé d'éversifimancie, ni de concentumancie. Ils avaient élevé celles-ci du petit bidouillage d'arrière-cour au rang d'éléments aptes à changer, à bousculer les choses.
Carmïnn avait parlé de magies "puissantes et dangereuses". Comme l'étaient celles qu'elles maitrisaient déjà.
Mais non, rien que le nom reflétait une autre vision des choses : c'était, quelle qu'en soit la forme, pire. Ou du moins plus évolué.
Bon, ce n'était pas le tout de trouver la taille, restait à trouver la forme, maintenant. |
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Matal 26 Jangur 816 à 16h56 |
Là encore, mieux valait recommencer par le connu. Quitte à pouvoir discerner autre chose dans celui-ci, après avoir un nouveau point de vue sur la question.
Ainsi qu'elle l'avait signalé à Rhôz, elle avait déjà croisé quelque chose ressemblant à "éversification", ou du moins à sa première partie. Mais ce n'était alors qu'un mot parmi d'autres, rapidement approximé avant de passer au suivant.
Maintenant qu'elle avait une cible précise de sa cible, mieux valait retrouver ces références afin de les étudier d'un nouvel oeil.
Mais la première fois, c'était une sorte de journal ancien, quand elle faisait ses recherches sur la Matière Noire.
Et la matière noire n'était pas un sujet assez vaste pour mériter une étagère ici. Une section "journal" ? Comment disait-on "journal" en krolanne ancien ?
Autant demander. En mémoire du passé. A priori une périphrase satisfaisante.
Jade alla trouver son hôte, la ponctuation de la question visible sur son visage.
In memoriam praeteritum ?
Praeterito !
Hum ?
In memoriam praeterito !
Il semblait presque fâché. Décidément, on comprenait mieux parfois pourquoi certains aspects de cette langue avaient été abandonnés.
Bon, au moins, le vieil idéaliste l'amena devant une autre étagère de parchemins roulés, certains maintenus coincés entre deux plaques de cuir. Une étagère parfaitement identique à la voisine. Et ici, aucun titre ni illustration de couverture, seuls quelques croquis épars dans le corps du texte.
Heureusement, elle savait parfaitement ce qu'elle cherchait, un mot suffisamment connu pour être traqué : navis, le bateau. Il suffisait de chercher rapidement dans les parchemins, de les survoler, et de les écarter les uns après les autres si aucun "navis" n'avait sauté au visage dans la première partie.
Car l'avantage des bateaux, c'est que quand on commençait à en parler, on ne s'arrêtait plus.
Et quand on parlait de bateau, on ne tardait pas à parler de matière noire.
Et quand on parlait de matière noire, on parlait de catastrophe...
Là. "Navis evertit". Elle en avait un. Le point final d'une histoire dont seul le dernier paragraphe l'intéressait.
Et là, un autre. Avec de petits dessins en plus. Un evertit encore, et plus tard... Hum, ce doit être les condoléances à la veuve. Everterat.
Dans ses souvenirs, c'était une forme plus proche, même si, toujours dans le même registre, la traduction était ici claire : chavirer.
Et là... Oui, là, là !
Navis teum everso.
Par un... Prophetes ? Prophète. Pas trop compliqué. Un prophète, donc qui dit ça, et, cinq lignes en dessous, oui. Navis everterat.
Un verbe donc, sa forme la plus proche se retrouvant dans le futur.
Avec "ation" et son action, l'action de faire chavirer à l'avenir ?
Trop précis, le mot avait sans doute d'autres sens. Mais la forme future, elle, resterait.
Bon, assez de maniement au hasard, là, elle arrivait à la limite de ces capacités dans ce domaine. Elle pouvait passer encore des jours entre ces quatre murs, sans s'habituer à l'odeur, ou prendre le risque de passer pour une illuminer.
Prendre le risque de passer pour une illuminée aux yeux de quelqu'un que tout son entourage prenait pour un illuminé.
Risque minime, en fait.
Ne pas pointer trop précisément ce qui l'intéressait, remonter d'un niveau... La forme infinitive.
Je cherche des sens multiples de mots. Evertere.
Il lui lança un regard en biais, s'attirant un qualificatif peu ragoûtant de façon instinctive. Marrant ça. Est-ce que "evertere" et "invertébré" avaient un rapport même lointain ?
En tout cas, après une hésitation, il alla piocher un énorme volume, à la couverture de fer piqué. Un ouvrage guerrier qui annonçait clairement la couleur.
Malhauto delenda est. Bene.
Récits liés à la chute de Malhaut ? Cela promettait d'être assez brutal. Comme le livre, en fait.
Mais effectivement, le livre était riche en "evertere", étant présent, sous une forme ou une autre, deux à trois fois par pages. N'ayant ni le temps ni l'envie de se pencher sur chaque cas, Jade se contenta des cas où la légende de l'illustration en faisait mention. Il il en restait pas mal. Tour en train de s'écrouler, colosse un genoux à terre, armée en déroute... Tous utilisaient le même mot.
Renverser, abattre, dévaster... Et même, à la fin, concernant Malhaut lui-même, quelque chose qui devait presque certainement signifier "bannir".
Un mouvement violent, un geste puissant capable d'assurer sa domination sur autrui. Oui, cela avait un sens. Plusieurs, même, mais ensemble, cela donnait un sens plus vague et plus profond à la fois, tout comme la noxamancie était l'art de la nuisance. L'éversification, d'après son nom, était l'expression de la domination, littéralement -ou peu s'en fallait.
Bon, allez... Avec trois sur cinq, elle pourrait peut-être trouver le reste. Et elle devait pouvoir avoir une autre réponse avant d'être expulsée pour cause de "trop de question pour l'argent récupéré".
Prendre un sourire engageant, quoique factice, et poser la question. En pariant sur les réflexes de rectification.
Concentu ?
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Jade Srhaggelle
Représentant, la Vigilance
Kil'sin
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Le Merakih 27 Jangur 816 à 19h07 |
Pas de rectification. Juste un sourcil dressé, signalant à la fois "c'est quoi le rapport avec avant ?", "vous commencez sérieusement à me gonfler, là", et "zut, cette forme existe. Je suis presque sûr que vous vous plantez, bougresse d'amateur que vous êtes, mais je regrette de ne pas pouvoir vous claquer ma supériorité sur le coin de museau".
Quoiqu'il en soit, lorsqu'il sortit de son rôle d'expert en langue antique pour endosser celui de personnage inquiétant capable de mettre l'autre mal à l'aise de son seul regard, il apparu rapidement au krolanne que c'était sur le seul premier qu'il pouvait espérer prendre le dessus sur Jade.
Elle lui rendit son regard, placide, immobile, se contentant d'effacer le sourire pour prendre une expression d'une neutralité parfaite.
Après quelques secondes, ce fut lui qui sembla le plus mal à l'aise, et il lui indiqua rapidement une zone.
Au premier livre ouvert, Jade, confrontée à des partitions, se permit de laisser transparaître une certaines incrédulité.
De la musique ?
De la musique qu'elle n'aurait pas pu jouer. D'une part parce que l'instrument duquel traitait ce livre ne ressemblait à aucun de sa connaissance. Ensuite parce que, elle le savait, la notation des partitions avait changé il y avait environ quatre siècles de cela, et qu'une travail de transcription était nécessaire pour pouvoir avoir la partition compréhensible en moderne.
Et enfin parce que même si c'était une partition moderne pour flûte à bec, la musique était le genre d'activité en interaction, où les auditeurs semblaient accorder beaucoup d'importance à "l'âme" qu'insufflait l'artiste à sa performance, et que c'était donc par définition, pourrait-on dire, un domaine où elle se savait incapable d'exercer ses talents.
Des partitions, donc, pas des mots, rien qui la rattachait au mot demandé.
Ah, non, pas que des partitions. Visiblement, c'était un recueil traitant de l'histoire de différents morceaux, ou un exposé du thème. Peu importe.
Une partition, une à trois pages de texte, une partition, une à trois pages de texte.
Ad libitum, comme dirait l'autre.
Et rien, de bout en bout, qui ressemble de près ou de loin à sa demande.
Elle reposa le livre, relevant la tête vers son hôte. Celui-ci l'observait, et hocha la tête d'un air sûr de lui.
C'était là dedans, donc, quelque part.
Livre suivant...
Et effectivement, au troisième livre, sur la fin, le mot frappa son regard : in concentui. Un passage où, vu l'illustration, l'instrument s'utilisait avec d'autres.
D'autres ? D'accord. Abandonner les instruments solitaires, se baser sur le groupe pour essayer de trouver d'autres exemples. Car si elle en avait un sous le nez, elle savait pertinemment qu'un style dépourvu de tout signe de ponctuation -il devait être un peu plus vieux que les autres, la ponctuation n'étant venue que près d'un siècle après l'arrivée, apparemment- était largement inaccessible à la traduction.
Illustrations, encore. Voilà. Des partitions en veux-tu en voilà, pour une oeuvre destinée à un orchestre en entier.
Et, pas loin, les différentes formes : concentus, concentibus, concentui, concentu, etc.
Orchestre ? Non, un autre mot correspondait. Pourtant, il revenait. Concert ? Oui, c'était proche, et de ce qu'elle pouvait en tirer, c'était vraisemblablement un concert.
Mais il revenait dans les deux parties : l'une assez technique, spécifiant visiblement quelles dispositions prendre pour la représentation, l'autre servant à expliquer l'histoire que la musique était sensée accompagner.
Comme souvent dans ces histoires mises en musique à l'aide d'une foule d'instruments, il s'agissait de tragédie, de puissants trahis, de renouvellement.
Et ces gens là ne parlaient pas de musique. Pourtant, il y avait bien ce "concentus nostra", ressassé par les traitres.
Concentus... Consensus ?
Un accord. Une alliance. Si on rattachait à cela l'idée du concert, on pouvait trouver un double sens, celui d'une harmonie.
Oui, les deux choses s'opposaient bien. L'éversification, le chambardement amenant à la domination. Et la concentuation, l'harmonie perenne et l'égalité. La force et la discussion. Deux concepts d'interaction, tandis que les trois autres magies étaient plus destinées à la définition.
Bon, il lui restait une heure jusqu'au coucher du soleil.
Mis à part un vague rapport entre l'ancêtre du "phare" et "phéré", qui pouvait transcrire à la fois la lumière-chaleur du réconfort et la stabilité -magie de la nuisance, magie du réconfort, cela se tenait- rien ne s'approchait.
Quant à la korthomancie, une description subjective du jeu, entre nuisance et réconfort, ou des ombres, en manipulation, venait à l'esprit, mais rien de concret ne sortait de ses lectures.
Peu importait, elle repartait avec suffisamment de choses pour travailler dessus.
Phase lexicale terminée, c'était l'heure du concret.
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La perfection est amorale. |
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