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La Chute
Où l’on espère une main secourable.
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Sukra 20 Dasawar 814 à 19h24
 
Elle se réveille en sursaut.
Pour la seconde fois
Deux, c’est une de trop.
Ferme les yeux, les rouvre, bat des paupières, se pince la joue.
C’est bien elle.
Éléa.

Elle prend une forte inspiration et se redresse brusquement, tâtant frénétiquement ses membres et son corps à la recherche de quelque chose qui aurait changé. D’un signe.
Rien.
Elle pousse un soupir de soulagement.
Ça ne se voit pas. Ou tout du moins, pas encore… Les récits qui entourent les Lanyshstas font état de transformations physiques monstrueuses : cornes, peau de lézard, flamme au bout des doigts… Mais peut-être n’est-ce que des contes pour faire peur aux enfants.
Elle se rassure comme elle peut.
Parce qu’il n’y a pas de doute possible. Elle en est Une.
Lanyshta.
Et si la moindre incertitude subsiste, elle est immédiatement balayée par le brouhaha qui résonne dans ses pensées. Impossible de se concentrer avec le bruissement constant de tous ces esprits inconnus auxquels elle est soudain rattachée.
Elle se lève. Un peu trop brusquement : une nuée d’étourneaux s’élève soudainement autour d’elle, nuage de plumes se confondant avec l’obscurité naissante : le tourbillon d’ailes l’emprisonne et la distrait un instant des pensées qui l’empoisonnent. Accalmie bienvenue, quoique brève.
Et quand enfin ils la libèrent, elle trébuche.
Elle trébuche.

Et se souvient.
Elle est ici depuis plusieurs heures. Grand-Mam ayant réclamé un nouvel édredon, elle est venue chercher le duvet dont elle avait besoin à sa source. Sa collecte achevée, elle s’est installée sur le parapet, où, bercée par la rumeur du Kil et la douceur du temps, elle s’est endormie.
Au sommet des toits.

Au sommet des toits.

Elle trébuche. Sur le parapet. Au sommet des toits.

Ses mains battent l’air, son corps résiste, mais il n’y a rien qui puisse la retenir, ni corde, ni barre métallique, ni volatile miraculeux… Et alors que le vide la happe, une pensée s’échappe.

Elle tombe…



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Sukra 20 Dasawar 814 à 23h12
 
Estaminets.
J'ai travaillé dur sur ce nouveau projet. Quel nom lui donner?
Je n'en sais rien. Il est tard. Mi-mains s'est déjà endormit, blottis entre deux coussins, le corps étrangement réparti entre le placard et le sol poussiéreux. Les ingrédients me manquaient. Je savais que tôt ou tard, je devrais aller voir Bragg, lui dévoiler un peu de mes desseins en vue d'en accomplir une partie.
Il faudra rester prudent.

Mes mains tremblaient.
La fatigue. J'essaie d'user de ma Farce pour magnifier mes cellules énergétiques. Sans grande réussite. L'utilisation de matériaux plus complexes pourrait peut-être aboutir. Jade semblait être sur la même piste.
Mon esprit s’égare un moment, ici et là, dans le Tourbillon. Rien d'intéressant. Les gars du Kil'dé parti à la place de Martel restaient silencieux. L'artisane du Sin également. Dois-je m'en préoccuper pour l'heure?
Pas vraiment. Une chose à la fois.

Une brise de vent vint rafraîchir mon faciès recouvert de sueur. La nuit est froide. La belle saison est définitivement terminée.
La lumière est douce, faible. Mes yeux menacèrent de se clore.
Quand soudain...

Une pensée.
Encore inconnue, étrangère, hasardeuse.
Elle n'est pas encore matérialisé, pas véritablement exprimée. Un seul sentiment est communiqué : une chute. Inexorablement attiré par le sol, subissant cette gravité pourtant lointaine.

J'inspirais profondément.
Je projetais mon esprit en direction de la pensée, sans savoir quoi y trouver. Nul mot, juste une présence, forte. Rassurante, remplie d'espoir. Car oui, tout lanyshta se devait être conscient de l'avenir radieux qui s'étirait à ses pieds.



- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Dhiwara 21 Dasawar 814 à 15h03
 
Elle tombe.
La masse sombre de ses cheveux en corole, ses jupes en cerf-volant.
Autour d’elle, les plumes qu’elle a récoltées s’échappent par poignée, flocons duveteux en suspension.
C’est plutôt joli vu d’en haut.
On s’attendrait presque à ce qu’elle se mette à battre des bras pour s’envoler finalement vers les cieux, sa chute parfaitement maitrisée.
Mais non.
Elle ne fait que tomber.

Les pensées se bousculent.


Je vais mourir - les os broyés sur le sol - la tête éclatée contre les pavés - Lanyshta - ça me fait une belle jambe - ou alors empalée sur une grille - les intestins répandus le long de la travée - certaines histoires racontent qu’Ils sont immortels - la cervelle dégoulinante - le sang goûtant dans le caniveau - encore un conte pour les enfants - ce sont les chiens qui vont pouvoir faire un festin - toute cette chair tendre offerte sur un plateau - je n’ai même pas eu le temps de finir ma partie d’échec-fléchettes avec Pap - le corps brisé dans une position grotesque - le visage figé dans une grimace terrifiante - c’est ridicule - cette chute est ridicule.

C’est à cet instant précis qu’a lieu le premier rebond.

Il faut préciser à notre lecteur attentif que la scène prend place au sein du quartier des Estaminets. Or, si l’architecture de Kil’sin est un agglomérat anarchique à tendance fouillis, le quartier dont il est question a développé, en sus, une personnalité que le Comité d’Architecture Réfractaire a qualifié, suite à de nombreux débats houleux, du terme décrié de « baroque ». Les ardents défenseurs du qualificatif « abracadabrantesque » ayant fait scission suite à cette décision, le Comité d’Architecture Réfractaire ne compte aujourd’hui plus que quarante-deux membres (dont Ritus Tallion, pourtant fervent défenseur de la phrase-adjectif aussi courte qu’efficace : « c’est moche »). Ces quarante-deux membres se sont ainsi attelés à la tâche, certes fastidieuse mais ô combien passionnante, de répertorier tous les éléments architecturaux représentatif des Estaminets. Ils ont ainsi pu établir un catalogue (disponible à la consultation) où l’on peut admirer les reproductions des plus remarquables encorbellements, dômes, loggias et autres excroissances ornant le susdit quartier. Catalogue admirable mais coupable d’un oubli impardonnable : nulle part n’y ait fait mention des toiles tendues entre les différents bâtiments. Exécutions certes éphémères, elles sont l’œuvre d’artistes peintres en mal de galerie qui se sont ainsi appropriés la rue comme espace de création. En plus de leur caractère artistique, les toiles, suspendues horizontalement à la rue, ont l’appréciable qualité de protéger les badauds du soleil et de la chaleur étouffante du milieu du jour. Nul ne doute que c’est la dimension culturelle du projet qui a convaincu les riverains de laisser ces crou… œuvres orner leur quartier, évidemment.

Cette parenthèse effectuée, revenons à notre amas de cheveux, de jupes et de plumes, petit chiffon jeté dans le vide pas si vide. Plongée dans ses sombres pensées, elle ne voit pas la grande toile qui se précipite vers elle. À moins que ce ne soit le contraire ?

BOÏNG !

La toile est trop tendue. Son corps rebondit, pantin désarticulé. Elle n’a pas le temps de réagir. Elle tombe à nouveau, sa chute à peine ralentie par l’intermède trampolinaire. Le désespoir la submerge. Elle a eu une chance, n’a pas su la saisir. Elle ferme les yeux. Prête à sentir le choc, la douleur et l’éparpillement de son âme…

C’est alors qu’une présence chaude et rassurante vient l’envelopper.
Et lui insuffle le plus violent des électrisant.
L’étincelle qui embrase.
Celle qui autorise l’impossible.
L’Espoir.

Elle n’a plus peur.
Et réagit par instinct.
Une seconde toile se présente.
Ensuite il n’y en a plus d’autres.
Que le sol.
Elle se prépare à accueillir le choc. Se ramasse. Garde les bras et les mains opérationnels.
Elle est prête.

C’est le second rebond.

BOÏNG !

Elle s’envole à nouveau.
Tend le bras. Réflexe. Et saisit d’une main la corde qui relie la toile au bâtiment qui la domine. La secousse est violente et lui disloque l’épaule. Elle se rattrape de justesse avec son autre main. La douleur irradie dans son membre. Elle se stabilise.

Pfiou…

Et fait le point. Elle est donc suspendue au-dessus de la rue. De nombreux mètres la sépare encore des pavés. Sous ses pieds, la foule bruyante en cette heure festive ne se doute pas qu’une jeune fille a failli s’écraser sous leurs yeux et ne doit maintenant sa survie qu’à une simple corde tirée entre deux édifices. Il fait maintenant trop noir pour qu’un badaud la remarque. Elle songe un instant à crier, appeler à l’aide, mais se ravise : ils sont trop loin, il y a trop de bruits, personne ne l’entendra. Elle ne fera que s’épuiser. Or elle va avoir besoin de toutes ses forces pour tenir. Parce que, dans l’état actuel des choses, il paraît inenvisageable qu’elle puisse se hisser seule, à la force de ses bras meurtris, sur la toile pourtant si proche.

Elle n’a pourtant plus peur. La flamme insufflée par cet esprit bienveillant la réchauffe, lui donne la Foi. Elle ne sait pas encore comment bien faire. Alors elle agit instinctivement. Ouvre son esprit, plonge dans les entrelacs et cherche à retrouver le fil de la pensée qui l’accompagne. C’est plus facile qu’elle ne l’aurait cru. Elle ne sait toujours pas qui il est mais ressent sa présence.
Bon.
Bon, bon, bon.
Tentons le message télépathique, alors.



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Dhiwara 21 Dasawar 814 à 15h40
 
Une salutation puis une requête aboutissant à une localisation.
J'étais exténué.
S'agissait-il d'un piège? Peu probable. Je doutais qu'un lanyshta puisse un jour parvenir à mimer l'instant d'après éveil avec autant de spontanéité que cette pensée.

Gambader sur les toits en pleine nuits n'était résolument plus de mon âge. Pourtant, cette pensée avait quelque chose de rafraîchissant. Impossible à expliquer. Je restais silencieux, le nez devant mes ustensiles et quelques croquis d'une arme que je souhaitais révolutionnaire.
Je laissais alors échapper un long soupir.

Je me moquais éperdument des vies krolannes. Il en avait toujours été ainsi. Cependant, celle-ci était une lanyshta. Mon projet d'école avait besoin d’acquérir une crédibilité aux yeux des autres Cendrés pour un jour espérer exister. Il fallait donc faire évoluer mon personnage. Élargir la palette, exceptionnellement.

Je balayais la pièce du regard.
Dans un coin, j'aperçu des chutes de cordes dont la longueur variait d'un à cinq mètres. Bien que je ne sois pas un expert des nœuds, il serait possible de les relier bout à bout, pour peu que l'auteur de la pensée ne soit pas obèse...
Chargé de cordes sur l'épaule, j'enfilais un pardessus grisâtre, un chapeau aux losanges ternes et pris soin d'attacher le tranquiliseur à mon ceinturon. On est jamais trop prudent. Sans un bruit de sorte à ne pas réveiller Mi-mains, je passais la fenêtre et atteignit les toits.

Le Théâtre du Dindon n'était pas bien loin. Je m'y étais produit dans mes jeunes années, là où ma renommée ne me permettait pas encore de vivre de mes jeux. Un bel établissement, d'honnêtes gérants, chose rare dans les Estaminets.
Quatre étages plus bas, la foule jasait. En plein milieu de la nuit, les ruelles se transformaient en un véritable marché noir de substances en tout genre, pour prolonger la folie festive du quartier encore quelques heures, disaient les vendeurs. Je tâchais d'être discret malgré le tintement réguliers de mes clochettes.
En quelques minutes, j'arrivais au dessus du Théâtre. La toiture voisine était plus basse de deux mètres, la pente abrupte. Le cabaret probablement. Je ne me risquais pas à me rompre une cheville en sautant. Peut-être était-ce cela qui avait provoqué la chute de l'âme à secourir.
Approchant la tête de la corniche, je jetais un bref coup d’œil.
Les toiles se superposaient les unes sur les autres, se masquant par la même occasion. Était-ce ici? Peut-être bien. Impossible de m'en assurer.

Je me rapprochais de la cheminée et y accrochais la plus longue de mes cordes. Sans être véritablement sûr de la solidité de mon raccord, je nouais les cordes entre elles de sorte à obtenir une longueur filant jusqu'au premier niveau de l’édifice. D'un geste ample, je lançais la corde par dessus la toiture. Elle se balança quelques instants puis se stabilisa.

Une nouvelle pensée émana vers l'inconnu en détresse.

*Voyez-vous la corde?*

Simple, direct, limpide.
Pas le temps de bavasser, pas encore du moins. J'étais investis d'un pragmatisme qui me surprenait tant il venait bousculer mes habitudes. Enfin...de mes habitudes de krolanne. J'étais devenu tout autre chose depuis déjà plusieurs semaines.
Un outil potentiel se présentait à moi. Divine providence.



- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Matal 23 Dasawar 814 à 18h17
 
Suspendue à bout de bras, la pensée la surprend.
C’est qu’elle n’a pas encore l’habitude.
D’autant que, cette fois, elle ne lui est adressée qu’à elle seule.
Simple, directe, limpide.
Sans le brouhaha entrelacé dans lequel elle a déjà pongé par deux fois.

Elle la surprend… Et la rassure.
Elle n’est plus seule. Quelqu’un est venu l’aider.
Homme, femme, animal ou monstre, elle n’en a encore aucune idée.
Mais Il est là. Elle est sauvée.

Encore faut-il trouver la corde.
Si l’obscurité a envahi les toits des bâtiments, à son niveau, la clarté de la rue est assez forte pour qu’elle puisse la deviner, pendant nonchalamment à quelques mètres d’elle, contre le mur du Théâtre.
À quelques mètres d’elle.

Elle soupire.
Ses bras tirent, son épaule la fait souffrir, elle a froid, elle est fatiguée…
Et pourtant elle est encore là, accrochée à son fil.
Hier, ç’aurait été impossible.
Elle comprend confusément que son éveil n’a pas fait que la connecter à un réseau télépathique clandestin.
Elle a changé.
Elle est devenue plus forte.

Elle lève les yeux vers le sommet des toits.
Ne voit rien.
Si son sauveur est là, elle ne l’aperçoit pas.
En revanche, elle remarque autre chose.
Un plumage couleur feuille morte, un bec plus large que long et des ailes déployées dans un long vol plané.

Mot !

L’engoulevent vient se poser sur la toile, ses yeux ronds pointés sur Éléa.
Elle sourit, raffermit sa prise sur le fil et, tout doucement, commence à progresser vers le mur sous l’œil attentif de l’oiseau. Son corps se balance dangereusement, ses mains sont moites, ses muscles la brûlent... Elle sert les dents. Elle y est presque. Plus qu’un mètre. Encore un tout petit effort…
Enfin, elle parvient au crochet fixé dans la maçonnerie. Elle s’en empare, cherche une niche où poser ses pieds et reprend son souffle. Coup de bol, il lui suffit de tendre le bras pour attraper la corde qui pend mollement contre la bâtisse.
Elle pousse un soupir de soulagement. Le plus dur est fait. Avec des gestes maladroits, elle enroule autour d’elle le filin pour éviter une nouvelle chute malheureuse. Relevant la tête, elle constate avec soulagement que son parcours est semé de corniches, d’anfractuosités et de prises en tout genre qui lui faciliteront l’escalade… À condition que son mystérieux sauveteur lui file un petit coup de main en la tractant à l’aide de la corde.

Elle se concentre.
Elle n’a jamais fait ça.

C’est bon… Je suis attachée... Je pense pouvoir escalader le mur mais je vais avoir besoin de votre aide. Pouvez-vous m’accompagner en tirant la corde, s’il vous plaît ?

Et advienne que pourra.



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Matal 23 Dasawar 814 à 22h05
 
A son tour, l'inconnue usa de la télépathie. Des mots.
Lui avais-je dis de s'attacher? Absolument pas. Qu'espérait t'elle? Que j'allais remonter sa carcasse à la force de mes bras? C'était sans compter mon physique de brindille à l'aspect maladif.

Je posais mes fesses sur les tuiles froides de la toiture. Les clochettes s'animèrent par le vent frais qui frigorifiait mes entrailles. Encore un peu et j'étais bon pour attraper un rhume. Je jetais un coup d’œil à la cheminée et à la corde qui y était attachée. En faisant levier, je pourrais peut-être parvenir à tracter la transformée jusqu'en haut. Peut-être. Ou si son poids excédait mes forces, elle finirait aplatie quelques étages plus bas.
C'était un pari risqué. Ma vie n'étant pas directement en danger, je tentais ma chance, ou la sienne, à elle de voir.

*Nous pouvons vous assurer, certainement pas vous tracter, bien que nous ne mettions point en doute votre délicate silhouette.*

La pensée était teinté d'humour, comme à mon habitude.
On ne change pas sa nature.
La vie gardait cet aspect ludique et risible quel que soit la situation.

Sans attendre, je détachais avec précaution le nœud de fortune et me positionnais de sorte à lancer le poids de mon propre corps en direction de la gouttière. Contrôlant mon équilibre je reculais petit à petit. La corde était tendue. Je pouvais sentir, à la force de mes membres, le poids de la créature qui dont la vie ne tenait qu'à une corde.



- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Merakih 24 Dasawar 814 à 11h51
 
La réponse se fait à peine attendre.
Caustique.
Eléa grimace.
La corde se tend.
Elle soupire.
Et commence son ascension.

Elle grimpe.
Petite silhouette qui se fond dans l’obscurité.
Étrange araignée suspendue à son fil.
À défaut de toile…

Elle prend son temps.
Réfléchit les prises.
Économise ses forces.
C’est la dernière ligne droite.

Enfin, elle aperçoit le fatal parapet.
Elle y est presque.



C’est le moment que choisit la corde pour lâcher.
Ça fait un moment qu’elle y travaille.
Un nœud comme ça, aussi, faut pas s’étonner.
C’est trop tentant.
Et bien plus rigolo.
Alors, hop, tout le monde par-dessus bord.



La secousse déstabilise la jeune fille.
La déséquilibre.
Ses pieds glissent.
Pendant un instant de pure panique, elle se voit retomber.
NON !
Elle tend son bras meurtri, agrippe la gouttière et se hisse comme elle peut, s’écorchant les genoux au passage.

Elle s’affale enfin sur le toit, le corps endolori.
Les cheveux en bataille, la robe couverte de duvet, elle ressemble à ces méchants de conte pour enfant que l’on recouvre de Matière noire et de plumes.
Elle est vivante.
Au-dessus d’elle les étoiles la fixent, immobiles.
Un vent froid vient caresser sa joue, charriant toutes les odeurs du Kil.
Elle est vivante.

Alors elle se met à rire.
Pour chasser la douleur, évacuer la peur et partager la joie d’être en vie.
Encore...



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Merakih 24 Dasawar 814 à 12h14
 
Qui dit corde qui lâche dit...corde qui lâche.
Danger.
Nous faisions les frais de mes maigres talents de noueurs. Quelle idée d’exiger d'un artiste de mon calibre un travail de moussaillon?! Le lien rompu, je perdis l'équilibre, projeté en arrière sous la force de mon poids propre. Je gesticulais bêtement en tentant de m’agripper à une silhouette invisible. En vain.

Ma tête bascula, le reste de mon corps également. Le choc sur les tuiles est violent. J'ignore si la neo-lanyshta s'est écrasée sur le sol. A dire vrai, je m'en fichais. Je restais immobile, de peur de glisser encore un peu et d'aller rejoindre la pensée quelques étages plus bas. Impossible de freiner les tremblements qui assaillirent mes membres.
Je laissais échapper un long soupir.
Vraiment, quelle idée m'était passée par la tête d'aller gambader sur les toits à une heure pareille?

Puis j'entendis un rire cristallin à quelques centimètres de là. Je pivotais la tête. Une forme sombre, touffue, se tiens là, accrochée à la corde, face contre tuiles.
Tout ça pour une gamine?!

Sans gestes brusques, je me relevais. J'ajustais mon chapeau, mon pardessus et mes gants : faire bonne figure était primordial.
Du bout des doigts, je touchais la jeune femme et accompagnais le geste d'une pensée chaleureuse.

*Finalement, ce n'était pas de votre silhouette dont il fallait douter, mais bel et bien du lien que nous vous avions concocté !
Comment vous êtes vous retrouvée...ici?!*


Je lui adressais une main tendue, comme le veut la bienséance.
Même s'il s'agissait d'une enfant, elle était une Cendrée. Elle avait donc son importance à mes yeux.



- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Merakih 24 Dasawar 814 à 15h44
 
Le geste la surprend.
C’est qu’on n’est pas des grands tactiles au sein de la famille Dradecis.
Elle amorce un mouvement de recul involontaire.
La pensée qui accompagne le bout des doigts posés sur son bras est amicale.
Bienveillante.
C’est excessivement bizarre.

Et si l’étranger avait le pouvoir de lire en elle aussi facilement que dans un ouvrage d’encre et de papier ?
Elle se sent soudainement terriblement vulnérable…

Eléa frissonne avant de considérer avec perplexité la main qu’il lui tend. Elle n’a pas très envie d’entrer à nouveau en contact avec lui : qui sait, peut-être que les Lanyshstas peuvent pénétrer dans les esprits par ce biais ? Ce serait pourtant extrêmement malvenu d’ignorer cette main tendue.

La jeune fille n’a pas l’habitude de tergiverser.
Pourtant en cet instant précis, elle hésite.
Les circonstances sont exceptionnelles. Elle vient de passer de l’autre côté.
Il faut faire des choix.

Faire confiance.
Ce n’est pas un professionnel des nœuds, soit, mais Il l’a sauvé.
Sa décision est prise.
Elle n’a de toute façon plus rien à perdre. Elle fait maintenant partie des leurs.

Se saisissant de la main tendue, elle s’en sert pour se redresser. Debout face à lui, elle détaille ses traits avec curiosité. Il est vieux. Enfin… Pas mal plus vieux qu’elle en tout cas. Plus grand mais pas tellement, il porte un pardessus élimé et un chapeau d’Arlequin défraichi. Pas vraiment l’image du sauveur tel qu’on se l’imagine. En même temps, avec ses cheveux emmêlés et sa robe déchirée, elle ne doit pas non plus ressembler à la princesse en détresse des contes de son enfance. Ou alors la version dépenaillée.

Merci.

Elle prononce le mot d’une voix claire. Pour entendre sa voix. Se rassurer quant à son existence vocale. Puis lance une trille : un ronronnement qui part de la gorge et se transforme en long sifflement sur ses lèvres. Elle n’a pas à attendre longtemps pour que l’engoulevent apparaisse et vienne se nicher sur son épaule. Elle l’accueille d’une caresse avant d’enfin répondre à sa question.

Je passe le Temps… On ne sait jamais, il pourrait n’en faire qu’à sa tête.
Et vous ? Vous péchez souvent des inconnus ?



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Merakih 24 Dasawar 814 à 17h14
 
Une fois relevée, la gamine n'avait pas meilleure allure. Outre ses habits, d'un tissu de bonne facture - j'avais l’œil pour ce genre de choses - je restais épaté par sa tignasse indomptable. Ses mèches étaient l'essence du Kil'sin. Évoluant par leur propre volonté, indépendamment de l'harmonie générale. Malheureusement, son allure gauche et peu gracieuse la disqualifiait d'office pour la participation à l'un de mes spectacles. Ni suffisamment monstrueuse, ni suffisamment mûre. C'était une adolescente après tout.

Un oiseau vint se poser sur son épaule. Ils semblaient proche. J'avais ce même rapport avec mi-mains. Il était présent lorsque le temps me manquais et savait se taire en fonction de la situation. Un animal de compagnie, toutefois plus volumineux que le piaf... et peut-être plus utile.

Je restais silencieux en la regardant de bas en haut. Mon teint blanchâtre était intense sous cette lune pâle et pratiquement complète. Mon visage était comme un masque. Lèvres finement maquillée pour masquer l'inhabituel, sourcils soulignés pour esquisser une face krolanne.
Je souriais.

Sans un mot, je récupérais mes morceaux de cordes et indiquais la toiture en contrebas.

*Là. C'est qu'il fait froid. Ce vent...Brrr...*

La pensée avait cet avantage de permettre de communiquer toute sortes de choses, allant du simple mot au plus fort des sentiments. Le concept du Passage prenait tout son sens en usant de la télépathie. Je transmettais à Eléa mes frissons. Comme une petite tape que les enfants s'échangent. Une fois à l'abris, tant des regards indiscrets que de la brise, je m'assis contre le muret qui terminait le faîtage.

*Nous sommes l'Arlequin, pour vous servir puis vous desservir. Ou, dans ce cas précis, vous secourir.*

Mes yeux pétillèrent. Les mots m'amusaient. Nul besoin de public, je me suffisais à moi seul.

*Il est rare que nous péchions des lanyshtas. Non pas que ce ne soit pas agréable mais, comme vous l'aurez sans doutes remarqué, notre technique a ses failles. Cependant, lorsque nous avons saisi votre pensée, alerte, nous nous sommes résolus à laisser un temps notre bricolage pour vous apporter un soutien. Après tout, nous sommes du même monde à présent. Des appelés, des Cendrés.*

Sa chute était-elle due aux prémices de l'éveil? Avait-elle entendu la Voix?
Le cas de Caï n'était peut-être pas isolé.
Je levais les yeux vers le ciel. L'heure tournait.

*Où habitez-vous? Saurez-vous rentrer seule dans le tumulte des Estaminets?
Non pas que nous doutions de votre débrouillardise. Disons qu'avec l'éveil mhhh... il se peut que vous soyez encore sujette à divers effets indésirables de la transformation. Sans compter votre chute.*


Je parlais en connaissance de causes. Lors de mon propre Eveil, j'avais été volé. Les souvenirs embrouillés, l'équilibre perturbé. Devenir lanyshta, c'était comme une grosse gueule de bois qui pouvait durer des heures, voir des jours. Sans compter les Voix des Entrelacs...



- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Merakih 24 Dasawar 814 à 18h14
 
Pas un mot n’est prononcé. Elle ne reçoit de lui que des pensées. Des sensations.
Le froid.
C’est déstabilisant.
Beaucoup trop intime à son goût.

Elle aime les mots. Leur son. Le roulement des syllabes sur la langue.
Ça, c’est… C’est comme plonger dans les eaux glacées sans savoir ce qui peut s’y cacher.
Est-ce qu’on peut tromper les sens comme les discours ? Illusionner la pensée ?
Elle ne sait rien encore.
Tout est trop neuf.

Alors elle acquiesce et le suit, s’abritant à sa suite dans le renfoncement du faîtage.
L'Arlequin s’assoie. Elle l’imite.
Maintenant que le danger est écarté, les émotions affluent. Et la fatigue.
Elle l’écoute. Son visage trop pâle semble dissocié de son corps. Un masque immobile.
Et pourtant si vivant. Est-ce que tous les lanyshstas sont comme ça ?

Je m’appelle Eléa.

Elle prononce les mots à haute voix. Pour se réapproprier qui elle est.
Hésite. Et continue finalement en pensées, éludant ses questions.

*Si nous sommes éveillés alors pourquoi sommes-nous encore en train de rêver ?*

Un mot la trouble.

*Et de quel bûcher sommes-nous les Cendres ?*



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Julung 25 Dasawar 814 à 18h07
 
Eléa.
Son timbre était clair, presque assuré.
Elle mit, volontairement ou non, de côté mes questions - purement pragmatiques en passant -. Libre à elle. Je n'aspirais qu'à trouver un coin chaud pour poursuivre une éventuelle discussion. La suite se fit par pensée. j'en étais venu à préférer ce type de communication. Plus efficace, plus discret. Les mots semblaient toujours plus adaptés lorsqu’ils sont accompagnés des sensations adéquats.

Des questions. Toujours des questions.
Rien de plus normal pour une neo-transformée. A supposer qu'elle en soit véritablement une. Rien de sûr.

*De rêver?
Nous ignorons ce qu'il en est pour vous, fraîcheur délicieuse, mais nous concernant, nous évoluons en pleine réalité. Certes la vie - non - l'existence, est ponctuée de travers oniriques. Ce passage là n'en est pas. Ne sentez vous pas cela? Votre sang qui palpite sous le vent, ces frissons que nous partageons... Et les Voix du Tourbillons appartiennent à cette même réalité. Bien qu'elle puisse être biaisée par des êtres mal intentionnés. Comme partout.*


Je souriais, les yeux pétillant de malice.

*Mais ça, vous le savez n'est-ce pas?*

Pour qu'une gamine de son âge s'amuse à courir les toits des Estaminets, il y avait différentes hypothèses à son origine. Soit elle œuvrait comme voleuse, justifiant ses vêtements de bonne facture et cet oiseau pour compagnon. Solitaire. Soit elle cherchait sa voix. passeuse de temps comme elle s'était elle même qualifiée. Espérait-elle trouver la réponse à plusieurs dizaines de mètres de haut? Peut-être. Même si cela me semblait insensé.
Sa dernière pensée me laissa pensif. Naïve et pourtant si pertinente. Toutes les qualités de la jeunesse me jaillissaient au visage.
Je tirais une pipe de ma poche, la bourrais d'herbes puis l'allumais d'un coup de briquet. Première bouffée. Un épais nuage de fumée fila depuis mes lèvres.

*De quel bûcher...mhhh oui... Ou de quel désastre.... On dit qu'il n'y a pas de fumée sans feu et, en ce sens, vous avez raison : il ne peut y avoir de cendres sans feu, ni fumée d'ailleurs. Alors qui est la fumée, quel est le feu... Nous l'ignorons.
Nous espérons toutefois le découvrir. Sans précipitation.
Nous aurons besoin de Temps, de soutiens. La confiance est une chose peu évidente à acquérir auprès des Lanyshtas. Vous l'apprendrez tôt ou tard. A vos dépend ou non. Certains se perdent dans le flot télépathique des Entrelacs, d'autres succombent à la découverte de leurs nouvelles capacités. Ils se hâtent, brûlent des étapes. Peut-être est-ce en cela que nous sommes cendrés ah ah !*


Pause.
Je fixais l'adolescente droit dans les yeux.

*Avez-vous entendu la Voix? Vous souvenez-vous de ce rêve précédent l'Eveil?*

Rhôz, Lohan, Sal' et cette Eléa. Tous semblaient guidés, tout comme moi, par l'envie d'en savoir plus.
Comprendre pour survivre, bien qu'ils n'aient pas tous encore conscience du danger qui nous guettait.



- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Luang 29 Dasawar 814 à 16h45
 
Fraîcheur délicieuse ?
Vraiment ?
Elle le regarde cette fois-ci plus longuement, ne s’arrêtant plus à ses vêtements ou son physique si particulier, mais cherchant à passer outre, voir au travers.

Il n’a pas hésité à lui venir en aide et, se faisant, lui a sauvé la vie. Il ne semble pourtant pas en tirer une fierté démesurée. D’ailleurs, il ne s’est aucunement inquiété d’elle et des potentielles séquelles de sa chute. Il a seulement voulu savoir ce qu’elle faisait sur les toits. Il semble curieux. Peut-être autant qu’elle. Cynique ? C’est possible. L’humour paraît être un trait récurent de son personnage. Quand à dire ce qu’il pense vraiment…

Éléa n’est pas une grande bavarde. Elle préfère observer. Et ce qu’elle voit ici ne la lasse pas de s’interroger. Qui-est-il ? Que fait-il ?... Que font les Lanyshtas ? Autant de questions pour l’instant sans réponses.

La sienne en revanche ne lui convient pas. Et si Éléa préfère en général écouter, elle sait parfaitement argumenter face à un raisonnement qui lui paraît trop rudimentaire. Surtout quand il fait appel à des lieux communs sans prendre en compte la dimension philosophique du sujet. Elle ne fait pas parti de Kil’sin pour rien.

*Ainsi, pour vous, Pantin arlequiné, la Réalité n’est que sens ? Et ce d’autant plus que nous les partageons… Parce que nous sommes deux à frissonner, il faut alors en déduire qu’il fait froid ? Mais peut-être souffrons-nous seulement de la même fièvre ? À moins que nous soyons insensés tous les deux. Qui sait ? *

La pensée s'anime.

*N’avez-vous jamais fait de rêves incroyablement plus tangibles que notre "Réalité" ? De ceux qui nous laissent la curieuse impression d’avoir accédé à une autre vérité. D’avoir peut-être aperçu, l’espace d’un instant, le Vrai. Le sens intrinsèque des choses.*

Un silence.

*Cette Voix… Vous aussi vous l’avez entendue ? Est-ce elle qui nous a éveillés ? Et dans ce cas, pourquoi nous sommes-nous rendormis ?

Parce que ce n’était pas un rêve... De là à dire que c’est une Réalité…*


Elle le regarde longuement.

*Je sais bien que je ne sais rien…*

Et se met soudain à rire avant de s'exclamer à voix haute.

Ohlàlà, j’ai l’impression d’entendre ma sœur… Elle adore ce genre de débat. C’est elle qui aurait dû être appelée, je suis sûre qu’elle aurait été parfaite… Mais d’ailleurs ? Ça consiste en quoi d’être Lanyshsta ? Qu’est-ce qu’il faut faire ?

Parce qu’au fond c’est encore une toute jeune fille. Et qu’il y a des interrogations plus angoissantes que les autres à cet âge là. Finalement, face à l’angoissante question de l’avenir d’une adolescente, la nature intrinsèque du monde est-elle vraiment si primordiale ?



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Luang 29 Dasawar 814 à 17h51
 
J'aimais profondément la discussion.
Assembler puis désassembler les mots, jongler avec eux avec maladresse ou dextérité. Je n'étais pas de ceux qui se passionnaient de la sonorité, j'aimais le sens, la substance. Le loufoque m'attirait également, l'incompréhensible qui parfois se révèle plus riche que n'importe quelle théorie exposée de manière scientifique, mécanique.
Les mots étaient mes armes, mes protections, mes compagnons.
Je jouais avec eux et me jouais de ceux qui m'écoutaient.

Tout au long de cet échange de pensée, je passais d'un état vers l'autre. A l'écoute du terme de Pantin, je grimaçais. Quelle insulte ! Pour qui me prenait-elle cette gosse mal fagotée? Puis il revint sur le concept de Réalité. Ah... Elle devait être à l'âge où l'on se questionne sur les fondements de notre univers, le tout saupoudré d'une curiosité propre à sa personnalité.
Enfin, la Voix.
Elle n'était pas comme Caï. Elle l'avait déjà entendu et comme beaucoup, restait dubitative. Que faire lorsque l'on est Lanyshta, c'était une sacré bonne question.

Emmitouflé dans mon pardessus, je secouais la tête de droite à gauche. Lentement.

*Vous nous voyez Pantin, nous vous considérerons comme aveugle. Le Pantin est animé par des fils, dirigé par un maître. Nous n'avons ni fils ni marionnettiste. Nous existons au jour le jour, choisissant notre voie au gré des envies et des situations.
Vous semblez penser, par votre esprit fougueux, que tout a une explication, une raison. Nous craignons qu'il n'en soit rien.*


Je levais les yeux vers le ciel, un sourire au coin des lèvres.

*Parfois, les choses arrivent sans qu'elles puissent être comprises de tous. Avons-nous besoin de saisir notre univers? Est-ce jouissif de lever le secret de nos existences? Nous aimons le mystère. Mystique, envoûtant. Il conduit aux desseins ambitieux, aux rêves irréalisables. Il prodigue l'Espoir.
Nous ne cherchons pas le Vrai, comme vous l'appelez, dans nos songes. Nous y cherchons la créativité, l'idée, la méta-pensée. Le Rêve soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Alors oui, d'un certain point de vue, nous vous l'accordons, ces Rêves là font partie d'une réalité.*


Pause. Je tournais subitement la tête vers la jeune femme, les yeux pétillants.

*Saviez-vous que la pensée a un poids?
C'est une chose fabuleuse pour les scientifiques. Quantifier quelque chose qui ne soit pas palpable, ou qui le soit mais dont nous ignorons le moyen de nous en saisir.
Nous serions donc capable de quantifier les informations transmises par nos intentions, nos aspirations et nos rêves. Voir même par ce medium télépathique dont nous usons depuis notre rencontre. Oh oui, décidément, tant de questions, tant d'énigmes ! Nous manquons de Temps...Vraiment.
Nous aurions aimé savoir si les krolanne, un jour, pourraient eux aussi jouir du passage télépathique. Ce devrait être possible ne pensez-vous pas? Aller, vous qui avez l'esprit vif, encore brûlant de cette naïveté créative !*


J'expirais longuement. par ce froid, mon souffle formait un petit nuage de brume.

*Nous craignons que vous vous fourvoyez. Les Dé disent que notre Destin est scellé. Bien que nous ne partagions pas ce point de vue, nous estimons qu'il ne sert à rien de remettre en question qui est fait. Vous êtes une lanyshta, pas votre sœur. C'est ainsi. La véritable question et de savoir que choisir : nier cet état ou s'en accommoder?*

Cette petite avait quelque chose de touchant. D'intéressant. En un sens, elle me faisait penser à Mi-mains, en bien plus bavarde et probablement moins habile. Une petite chose pleine de ressources et qui pourtant, n'en a pas encore conscience.
Me surprenant moi-même, je posais sur son épaule ma main gantée. A travers le tissu, elle pu sentir une profonde chaleur qui n'avait rien de naturel. Un mélange de pensée revigorante avec un brin de Farce bienfaitrice. C'était tout du moins ce que j'avais souhaité lui transmettre.

*Que vous ne sachiez que faire parait bien naturel. Qui le sait, au fond?
Nous estimons qu'il faut, bien que ce soit contre notre nature, nous réunir autour d"un but commun : la survie.
Les récents événements nous ont prouvé que des forces étaient en action pour nous nuire. Quels sont leur objectifs? Nous n'en savons rien. Face à ces inconnus, à ces ombres tapis dans la pénombre, nous essayons d'avancer groupés. L'individualité préservé mais l'esprit projeté dans une direction commune, un cap.
Alors nous cherchons à répondre à certaines interrogations, dont certaines que vous avez soulevé.
Qu'est-ce que cette Voix des Cendres? Comment expliquer le phénomène des vagues? Quelles sont les limites de nos pouvoirs? Que sont les Portes? A quoi les délaissés aspirent-ils?
L'information pour nous protéger les uns les autres.*


Enfin, surtout moi en vérité.



- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Matal 30 Dasawar 814 à 15h51
 
Le terme de Pantin ne plaît pas à l’Arlequin, c’est évident. Éléa n’a pas utilisé le mot par hasard, curieuse de la réaction de son sauveur à cette pique innocente et pourtant lourde de sens. Il s’offusque, donc, et s’emploie à lui démontrer que sa capacité à faire des choix en fait un être libre de toute entrave. Elle secoue la tête doucement, un sourire sceptique aux lèvres. Les arguments ne manquent pas, pourtant elle ne dit rien. Elle est une toute jeune fille, il est beaucoup plus vieux. Et surtout un peu condescendant. Et puis, elle est fatiguée : la journée a été longue. Son… « Éveil », puisque c‘est ainsi qu’il l’a nommé, est tout récent. Trop récent. Alors elle l’écoute, et le laisse répondre à ses questions sans l’interrompre. Elle ne comprend pas tout. A du mal à imaginer que la pensée puisse être quantifiable. Tout ça la dépasse. Pour l’instant en tout cas.

Il y a tout de même quelque chose qui la chiffonne.

*Vous me demandez si les Krolannes pourront un jour jouir du « passage télépathique »… Mais ils en jouissent déjà. Nous sommes Krolannes. Ce n’est pas parce que nous avons… disons… évolué que notre nature intrinsèque a changé. Avant d’être Lanyshsta, je suis Krolanne. Comme mon père, comme ma mère… Et tous les autres.
Je ne nie pas mon état, monsieur le Pantin, et je ne compte pas non plus m’en accommoder. Si c’est maintenant ce que je suis, soit. Mais ne comptez pas sur moi pour oublier qui j’étais.*


Elle a transmis sa pensée avec conviction. Elle ne sait encore rien des Lanyshstas mais sait avec certitude qu’elle ne veut pas d’une vie de proscrit loin des siens. Son univers vient d’être totalement chamboulé, elle ne compte pas perdre en plus ceux qui forment le socle de sa vie.
Son vœu est pieux.
Mais l’Arlequin poursuit son exposé.
Les mots s’enchaînent sans répit : survie, forces, nuire, ombres, vagues, limites, portes, délaissés…
C’est pour lui le quotidien. Pour elle, c’est un abîme sans fond dans lequel elle est jetée.
C’est à cet instant précis qu’elle prend réellement conscience de ce qui vient de lui arriver.
Sa vie ne sera plus jamais la même.
Elle n’est plus la jeune fille naïve qui arpentait les toits pour jouer avec les nuages.
Elle a un hoquet.
Tout son monde s’écroule.

Et avec lui, elle tombe.

Longue chute angoissante sans aucun filet auquel se raccrocher.

À moins que…
Un geste, une main.
La chaleur qui irradie de sa paume. Une pensée. Bienfaitrice, apaisante.
Elle n’est pas seule.

Elle a un petit sourire triste.

*Alors c’est ça notre vie maintenant ? Une Farce ?*



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.
 
Elyas
Passeurs de temps,
Arlequin

Kil'sin  
Le Matal 30 Dasawar 814 à 21h11
 
Pantin.
Voilà qu'elle recommençait. J'y gagnais le qualificatif de monsieur. Mettait-elle en avant ma vieillesse? La bougresse. Agacer son monde, c'était une chose de plus à mettre sur le compte de l'âge. Ça lui passerait. Enfin, c'est ce que j'espérais.
En captant sa pensée, je perçu combien cet enfant restait fragile.
Les gens réagissent de façon étrange parfois. D'un côté, le jeune Caï, dont la transformation ne semblait lui poser aucune complication. Pire, il l'ignorait. Puis cette Eléa, pour qui tout s’effondrait en quelques minutes à peine.

L'avais-je effrayé en lui livrant ma brutale Réalité?
Peut-être.
Elle m'y avait poussé. Ça lui ferait les pieds.

Alors que je posais ma main sur son épaule, elle chutait.
C'était inattendu.
Tout comme ses mots. La "Farce". L'avait-elle ressenti?
Son visage se limitait à un simple sourire masqué par plusieurs mèches de cheveux. Elle avait cette mélancolie que l'on cherche chez une muse, ce regard lointain, stellaire, qui vous intrigue, vous passionne inexorablement.

J'approchais à nouveau ma main. Après un moment d'hésitation, je quittais mon gant. J'étais à nu. Ma peau translucide luisait sous les rayons lunaire. Lentement, je vins poser mon index sur son front. Mes mots jaillirent comme un murmure, l'un de ceux qui vous traverse, vous habite durant quelques secondes :


"Notre vie est une Farce. La votre sera peut-être autre chose.
Quoique vous soyez, vous demeurez libre."


"N'oubliez pas" du-je rajouter.
Je savais pourtant qu'au fond, son esprit rebelle imprimerait le message. L'essence du Kil. Le fondement de notre individualité, de notre existence.
Je lui adressais un sourire, sincère. Peut-être avais-je trouvé là une nouvelle âme digne d'intérêt.

Délicatement, je retirais mon index puis remis mon gant.
Quelques étages plus bas, la foule festoyait comme chaque soir dans les Estaminets. Cette comédie ne prendrait fin qu'au petit matin, bien au chaud pour certains, dans les caniveaux pour d'autres.
Je me relevais. Une bourrasque manqua de me désarçonner. Je fixais la jeune femme, muet, me contentant d'une main tendue.

*Vous êtes exténuée.
Vous devriez rentrer.*




- Thème d'Elyas -
 
Éléa Dradecis
Passeurs de temps
Kil'sin  
Le Merakih 31 Dasawar 814 à 14h15
 
Quand l’Arlequin enlève son gant, elle comprend confusément que son geste n’est pas anodin.
Que ce qu’il lui offre est bien plus qu’un simple geste de compassion.
Il pose son index nu sur son front.
Et elle entend enfin le son de ses mots.
Leur sens exacerbé par l’appui de ce doigt translucide.
Ponctuation d’un message à jamais imprimé.

« Quoi que vous soyez, vous demeurez libre. »

Il n’ordonne pas.
Il affirme.
Et ça fait toute la différence.
Parce qu’il y croit.
C’est sa force.
Mais aussi sa faiblesse…

Elle a un soudain élan d’affection pour ce curieux personnage venu la secourir sur les toits. Jusqu’ici masque caustique, le visage diaphane et peinturluré de son Pantin prend soudain vie. Il lui sourit. La Farce un moment en retrait. Sincère.
Éléa se rend bien compte du cadeau qu’il lui fait.
Il ne doit pas être facile de l’apprivoiser.
Trop seul, peut-être.

Finalement, il rompt le contact, mettant fin à l’étrange intimité qui les a un instant liés.
Il est Temps.
Elle se redresse à son tour, saisissant sa main tendue, ses cheveux fouettant son visage. Une bourrasque emporte l’engoulevent qui disparaît dans l’obscurité. Elle n’est pas inquiète. Il reviendra, sa chasse achevée.

Elle ne sait plus trop quoi dire. Elle a encore tout à découvrir. Tout à apprendre.
Un chemin à tracer…
Alors elle acquiesce et lui adresse un petit signe de la main avant de se diriger vers l’échelle qui la ramènera chez elle.

Juste avant de disparaître derrière le parapet, elle a un tout petit rire. Se retournant vers l’Arlequin qui tintinnabule doucement, ses clochettes agitées par le vent, elle laisse échapper une dernière pensée.

*Surtout, faites attention aux Dindons !*


Et disparaît dans un léger éclat cristallin.



- Ici, tout le monde est fou. Je suis fou. Vous êtes folle.
- Comment savez-vous que je suis folle ?
- Il faut croire que vous l'êtes sinon vous ne seriez pas venue ici.

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